Laure-Anne GEOFFROY DUPREZ

Présidente de l’UNSFA, l’Union des architectes

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Rénover, réhabiliter, restaurer : perspectives architecturales

S’il convient de ne pas opposer trop binairement construction et rénovation, les exigences de la transition écologique appellent à mettre un accent nouveau sur la réhabilitation, la rénovation, le réemploi. Ce défi global a des dimensions proprement architecturales, tant en termes d’activité que de discipline et de profession.

Rénover, réhabiliter, restaurer ou encore recycler, reconvertir et réactiver ou régénérer : notre utilisation généreuse de ces verbes à préfixe, marquant tous la reprise de quelque chose, témoigne des profonds changements qui traversent notre société. Ces changements sont induits, directement ou indirectement, par la crise climatique, et c’est dans ce contexte que nous devons inscrire l’évolution de notre métier d’architecte.

L’art de la perspective est une discipline que les jeunes architectes apprennent à maîtriser dès leur première année de formation, cela bien sûr pour représenter leur projet mais également pour apprendre à voir plus loin, anticiper et construire.

En ce sens, les tracés constructifs de la nécessaire et célère montée en puissance des opérations de rénovation ne nous semblent pas encore aboutis ; en effet, la rénovation ne doit pas devenir une doctrine technique, écrasante et étriquée qui nous empêche d’agir avec intelligence et agilité sur nos territoires.

L’urgence écologique pourrait inciter à réduire au minimum la construction neuve, plus consommatrice de ressources. Doit-on encore construire ou uniquement rénover ? La réponse à cette question dépend de facteurs uniques pour chaque opération, qu’il convient d’analyser avec précision : les besoins du territoire, les usages attendus par la population locale et les possibilités d’adaptation du bâti existant, ses qualités intrinsèques, sa valeur patrimoniale.

D’un point de vue économique, la construction et la rénovation sont intimement liées : la chute vertigineuse de la construction du logement neuf entraîne un blocage du parcours résidentiel des Français, qui conduit à son tour à une baisse des rénovations, celles-ci étant majoritairement entreprises dans le cadre d’un changement de propriétaire. In fine, soutenir la construction neuve c’est aussi soutenir la rénovation du parc existant.

Nous ne pouvons opposer la construction et la rénovation, cette pensée binaire ne reflète pas la richesse de notre savoir-faire et la multiplicité des besoins présents sur nos territoires. Nous défendons une approche territoriale, frugale mais contextuelle, capable d’embrasser toutes les problématiques de terrain que nous rencontrons.

Réhabiliter avec ambition

La réhabilitation est une discipline qui ne doit pas seulement rimer avec les termes isolation, énergie, performance et factures. Ce n’est pas une addition béate d’actes techniques mais bien un projet d’architecture.

Outre la thermique, que nous intégrons dans nos projets depuis longtemps, un projet d’architecture se doit d’embrasser une pluralité de facteurs, tels que les habitudes, la fonctionnalité, l’insertion, l’optimisation, l’économie ou encore la matérialité.

Le regard que portent les pouvoirs publics sur la réhabilitation nous paraît trop technique et manque d’ambition architecturale. En effet, il est communément admis que l’architecture se situe là où l’on bâtit, dans le geste de conception ex nihilo. Alors même que faire avec l’existant est un geste tout autant architectural et d’autant plus complexe. Nous pensons que la nécessité impérieuse de réduire notre consommation d’énergie est une formidable occasion d’améliorer le cadre de vie de nos concitoyens, dans tous les territoires, et porte la possibilité de combiner plusieurs besoins et attentes de la société dans la réhabilitation. La rénovation est la source d’une transition multiple : énergétique, bien sûr, mais aussi écologique, fonctionnelle et d’usage, esthétique et patrimoniale. Probablement amplifiée par l’impact de la pandémie de la COVID sur les mentalités, cette transition est aussi génératrice de profondes évolutions : nouveaux modèles économiques et sociaux, nouvelles façons d’habiter, de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble. Rénovation et transition sont toutes deux réunies dans une même dimension holistique.

La rénovation est avant tout une rencontre entre un bâtiment et une équipe de professionnels qualifiés. L’observation et la compréhension sont les deux préalables nécessaires à une opération de qualité.

Élaborer un programme de travaux suppose une parfaite connaissance des dispositions techniques et constructives des bâtiments : la longueur de l’entraxe entre les solives, l’essence du bois utilisé pour les fermes, le type d’appareillage des maçonneries, l’épaisseur et l’époque du béton armé, l’état d’avancement de la carbonatation, la typologie des habitations riveraines, les matériaux locaux disponibles, les besoins des occupants, etc. La liste est longue.

Le patrimoine vernaculaire, comme le patrimoine protégé, mérite toute notre attention et tous nos savoir-faire. Il nécessite la mise en oeuvre systématique d’un diagnostic architectural complet ; toutes les problématiques doivent être traitées : la thermique, les dispositions constructives vernaculaires, l’état sanitaire, le potentiel de recyclage, le fonctionnement interne, les usages possibles, etc. L’objectif d’une France sans la moindre qualité architecturale n’est pas une perspective.

PRIX UNSFA D’ARCHITECTURE DU PROJET CITOYEN, CATÉGORIE HLM-RÉHABILITATION (2013)

© Augusto Da Silva, Takuji Shimmura.

Lauréat : Nomade Architectes pour la réhabilitation et la résidentialisation de 735 logements, ensemble Lemaître-Rigoles à Paris XXe.

Acteurs du projet : Paris Habitat, Nomade Architectes, FACEA, AC&T Paysage & Territoires.

Transition et mutation

La rénovation-transition, grâce au gain qualitatif, conduit à des mutations sociales profondes. L’espace est redéfini et redistribué. On observe notamment, au gré des opérations de rénovation de logements allant souvent de pair avec celles des équipements, un phénomène de gentrification d’anciens quartiers populaires des centres urbains. Le phénomène est semblable pour le tertiaire (bureaux et commerces), amplifié par la relocalisation périurbaine. Plus ou moins profondes, ces mutations de l’espace impactent le tissu urbain, la structuration sociale, les rapports de pouvoir et le poids économique des quartiers.

Au-delà des espaces très urbanisés, la rénovation et les programmes nationaux dédiés modifient aussi les territoires ruraux, avec la redynamisation des villes intermédiaires (programme Action coeur de ville), des petites villes (programme Petites villes de demain) et des villages (avec le récent programme Villages d’avenir) par l’installation de nouveaux habitants, de commerces et de services.

L’observation de ces phénomènes démontre les apports qualitatifs engendrés par les démarches de transitions-mutations. Mais il est alors nécessaire que les politiques d’aménagement et de transformation territoriales intègrent des mécanismes visant à contrer les effets négatifs de la gentrification et garantissent une mixité tant fonctionnelle que sociale de ces espaces et quartiers transformés.

PRIX UNSFA DE LA REQUALIFICATION ARCHITECTURALE DE COPROPRIÉTÉ (2023)

© Clément Guillaume. SOL Architecture et urbanisme, avec son projet concernant la copropriété du Pré de l’Enclos II à Villiers-le-Bel

Acteurs du projet : : SOL Architecture et urbanisme, CSM Pré de l’Enclos II, 2ASC Immobilier, Alterea, GTM Bâtiment, Aéroport de Paris, ANAH, mairie de Villiers-le-Bel, région Île-de-France, SOLIHA.

Penser et projeter à la bonne échelle

Toutes les échelles d’approche sont pertinentes. L’échelle du logement, du local tertiaire et du petit équipement prend en compte finement la cellule de base. Elle permet d’apporter les réponses unitaires appropriées, notamment au niveau énergétique. Les Architectes de la rénovation (ADLR), association initiée par l’UNSFA, ont choisi de se positionner dans un premier temps sur cette échelle. L’échelle de l’îlot, de la rue, du lotissement, permet d’appréhender les interactions, de mutualiser et de raisonner l’impact de la mutation.

Le programme OPERAE s’est saisi de cette échelle en invitant à réfléchir à une échelle plus large que celle de la parcelle. Cette vision permet de dégager d’autres stratégies d’aménagement, en allant jusqu’à des recompositions complètes de l’îlot, voire des mutations de quartier sur plusieurs années, en bénéficiant d’une économie d’échelle. On peut imaginer, par regroupement de plusieurs parcelles, densifier de manière raisonnée ou, au contraire, dédensifier des coeurs d’îlots afin d’y laisser pénétrer une nouvelle biodiversité en offrant, par exemple, la possibilité d’aménager des jardins partagés. Recomposer le tissu urbain à cette échelle peut faciliter la création de logements plus spacieux et plus lumineux, avec balcons et terrasses, des rez-de-chaussée avec des locaux mutualisés, des logements intergénérationnels, répondant ainsi à de nouvelles aspirations et laissant la possibilité de développer ce qui peut être considéré comme de nouvelles manières de vivre, en réenchantant le centre de la ville ou le bourg.

La combinaison des différentes échelles peut s’avérer particulièrement intéressante et générer outils et méthodes pour initier, freiner ou diversifier les mutations. Il est probable que, prochainement, la rénovation prenne une part très importante dans les documents d’urbanisme, et le permis de rénover n’est peut-être pas enterré !

Le périmètre de la rénovation

Le secteur du bâtiment absorbe une partie très substantielle de la consommation d’énergie en France. L’État s’est engagé afin que 11 millions de logements construits avant 1975 et plus de 100 millions de mètres carrés tertiaires atteignent au minimum le niveau BBC rénovation d’ici à 2050.

Les projecteurs ont été dirigés vers les grands ensembles de logements sociaux et les copropriétés (plus de 5 lots). Ces opérations, mobilisant de nombreux acteurs, présentent des échelles facilitant la massification et des montants de travaux bénéficiant d’une certaine économie d’échelle. Ainsi l’UNSFA travaille depuis plusieurs années avec la filière pour proposer des outils efficaces de massification de la rénovation des copropriétés et valoriser les opérations de qualité réalisées dans ce secteur (Prix de la requalification architecturale des copropriétés en partenariat avec le CAH et Prix du projet citoyen HLM réhabilitation). Mais elles représentent moins de la moitié des logements alors que le logement individuel et les petites copropriétés en représentent, eux, 60 %. C’est le parc le plus important, auquel on peut associer les petits locaux tertiaires et commerciaux, qui sont légion.

La difficulté d’approche de ces opérations aux faibles niveaux unitaires de travaux, et donc d’honoraires, oblige les architectes à gagner en performance et à élargir leur domaine de compétence. Ils doivent développer de nouvelles synergies, spécifiquement avec les entreprises et leurs partenaires de la maîtrise d’oeuvre, et élaborer ensemble les méthodes et techniques les plus adaptées aux contextes particuliers. Ces nouvelles approches collaboratives, ces nouvelles méthodologies et l’étendue des connaissances nécessaires non habituelles pour les architectes nécessitent l’acquisition de nouvelles compétences spécifiques à la transition de ce patrimoine bâti particulier.

La question des aides

Les services de l’État cherchent à provoquer les offres et à susciter et à encourager les demandes. Mais l’éternel problème demeure : comment faire correspondre offres et demandes ?

Il serait profitable que ces services collectent davantage d’informations sur la demande, et agissent fermement pour promouvoir les offres, dont celles des architectes. La subvention est un des moyens pour susciter la demande. Elle peut aussi aider à construire l’offre, mais elle ne se substitue ni à l’une ni à l’autre.

Ce soutien économique est généralement subordonné à des résultats théoriques ou réels. Ce culte du résultat sert-il la qualité et le respect des objectifs ? Si la question de la valorisation de la performance ou de celle du résultat se pose à tous les niveaux dans la production du bâtiment, elle devient essentielle en matière de rénovation, puisqu’un niveau de départ existe, qu’il convient de dépasser. Pour juger d’une rénovation, peut-on sans risque appliquer l’analyse des indicateurs de performance sectorisés, présupposés à même de juger du résultat ? Il peut être plus facile de chercher à satisfaire les indicateurs plutôt que la performance effective. Nous connaissons tous les « bidouillages » de mise au point des projets avec la maîtrise d’ouvrage afin de répondre à la réglementation ou aux labels. En matière de rénovation, il est encore plus facile de jouer sur les données de départ, qui ne sont pas toutes objectives et vérifiables, et dont certaines disparaîtront à l’issue de l’intervention. Les outils de mesure sont au service de la performance, et ne doivent pas se substituer à l’objectif.

Il serait préférable de substituer à une logique d’attribution d’aide et de label issue de la culture du résultat, une logique de valorisation de la transparence dans la conduite et l’élaboration du projet répondant à l’ensemble des objectifs. L’offre globale et sa conduite à terme y répondent.

La rénovation, pour réussir à l’échelle de la massification, devra évoluer vers un modèle économique plus indépendant des aides directes. Il paraît aussi intéressant d’engager, de façon globale et transversale, les autres acteurs des mutations immobilières que sont les agents immobiliers, les notaires et les organismes financiers.

La rénovation globale, par l’énergie, les matériaux et au-delà

La rénovation est souvent abordée avec la même légèreté que l’entretien. Il est communément admis qu’il faut donner un « coup de frais » aux logements ou aux bureaux tous les dix ans. La rénovation, énergétique ou non, est souvent considérée de la même manière. Aussi, il n’est pas rare de devoir anéantir des travaux récents pour réaliser les suivants, comme on décolle un papier peint pour peindre un mur, sans trouver cela inconvenant. Le fait de changer les fenêtres sans prendre en compte la future isolation complémentaire à venir ou, pire, sans penser à s’assurer de la bonne ventilation du logement est malheureusement fréquent. Pour réussir une rénovation, il faut en connaître l’aboutissement. Si l’objectif ne peut être atteint en une fois, il faut en définir l’étape pérenne et convenable pour la santé et le confort et l’usage. Seule l’approche holistique le permet : la rénovation globale.

Celle-ci passe aussi par les matériaux. Le bâti ancien se prête parfaitement à l’utilisation de matériaux contemporains, notamment les matériaux biosourcés et géosourcés, tels que le chanvre, la paille ou encore l’argile, qui disposent de propriétés physiques et mécaniques adéquates. Les exemples réussis sont nombreux et témoignent d’un réel engouement de notre profession, notamment au sein des nouvelles générations, pour la rénovation et, plus largement, pour le patrimoine ordinaire.

Par ailleurs, la déconstruction prend progressivement la place de la démolition, et les diagnostics de réemploi, mission sur laquelle nous avons toute notre place en tant qu’architectes, commencent à devenir plus fréquents. La question du réemploi intervient en amont et en aval de la vie d’un bâtiment : dans le sourcing initial (les ressourceries, portées par des associations ou par des entreprises privées fleurissent sur tout le territoire), dans la mise en oeuvre (le calepinage, notamment) et dans l’anticipation des reconversions futures (le changement d’usage par exemple).

En ce sens, le bâti existant n’est pas seulement un entrepôt de souvenirs en mal d’isolation mais un corpus d’expériences constructives en devenir qui nous offre une multitude de perspectives à tirer.

Par le passé et dans des contextes différents, notre discipline s’est illustrée dans le geste architectural, dans la grande composition classique et géométrique, avec notamment l’enseignement des beauxarts et des ateliers. Les crises propres à notre époque, notamment celle du changement climatique, façonnent une nouvelle génération d’architectes, soucieux de préserver nos ressources et de trouver un sens nouveau à leur travail. La rénovation est l’un des champs, autrefois traité comme un simple appendice, qui trouve, dans ce contexte contemporain, un très large engouement.

La thématique patrimoniale, autrefois réservée à nos monuments historiques puis à nos paysages et centres historiques d’exception, s’est étendue depuis plusieurs années au bâti existant et ordinaire. Sous l’impulsion des étudiants eux-mêmes et de la nouvelle génération d’architectes, les écoles sont de plus en plus nombreuses à proposer des cursus spécialisés sur les thèmes du patrimoine, de la rénovation et du réemploi.

Nous n’oublions pas la construction, que nous pensons encore et toujours nécessaire, mais nous sommes bien présents dans le wagon de tête de la rénovation, cela avec une approche multiple, esthétique, agile, contextuelle, frugale mais surtout architecturale.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-3/renover-rehabiliter-restaurer-perspectives-architecturales.html?item_id=7894
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