Georges RIGAUD

Président de la Fondation de la Fédération Française du Bâtiment.

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Les fondations du BTP contre la précarité

Le Bâtiment repose sur des valeurs d’humanité et de solidarité qui nourrissent une culture de l’intégration. Incarnant ces principes, les fondations du secteur accompagnent des publics en difficulté vers l’emploi. Contribuant, de fait, à la lutte contre la pauvreté, elles pratiquent une générosité efficace. Comblant des lacunes publiques, elles retissent des liens collectifs pour les plus faibles.

C’est au tournant des années 2000, face à l’explosion du chômage de masse et de l’exclusion, qu’une douzaine de fondations ont vu le jour dans l’univers de la construction, à l’initiative d’organismes professionnels, d’entreprises, voire d’industriels 1. Leur objectif commun consistait, en complément des actions de recrutement et de formation à la fois initiale et continue menées par la branche, à consacrer des moyens et des compétences spécifiques aux publics en situation d’exclusion, en accompagnant financièrement des initiatives visant à leur réinsertion tant professionnelle que sociale. Au-delà de son régime fiscal attractif, le choix comme mode d’intervention d’une fondation – qu’elle soit d’entreprise ou sous égide – montre d’abord la commune volonté d’inscrire dans une vision stratégique, et donc dans la durée, ce mécénat. Aujourd’hui, pour fixer les idées, il se traduit par un budget annuel de près de 10 millions d’euros (auxquels il faut ajouter la mise à disposition des fondations de personnel et de locaux) permettant d’accompagner en moyenne 500 projets sur l’ensemble du territoire et de contribuer ainsi au retour vers l’emploi d’environ 10 000 personnes.

Comment expliquer cette mobilisation ? Sans doute par le fait que le Bâtiment constitue un univers professionnel où l’homme continue d’occuper une place centrale, où la solidarité et l’esprit d’équipe gardent tout leur sens, mais aussi par la tradition d’intégration réussie qui le caractérise et lui a permis d’accueillir au fil de son histoire des populations de toutes origines en assurant leur formation et, à travers elle, leur promotion sociale. Les entreprises du Bâtiment n’ont en effet pas attendu que l’intégration et la diversité s’imposent dans le débat public pour les pratiquer depuis longtemps sur leurs chantiers : l’une et l’autre font véritablement partie de leur culture.

Des actions multiples, tournées vers l’emploi

En matière de domaines d’intervention, les convergences sont nombreuses, et il n’est d’ailleurs pas rare que, sur certains dossiers lourds, plusieurs de ces fondations interviennent simultanément voire successivement. En premier lieu, on ne s’étonnera pas que, compte tenu de leur milieu d’origine, celles-ci soient sensibles aux problématiques de l’accès au logement et de la transition énergétique à travers l’accompagnement d’opérations de construction et de rénovation de logements sociaux, de foyers pour étudiants, de résidences pour séniors et d’espaces de vie mais aussi d’actions de réhabilitation énergétique, de mise aux normes ou d’initiatives en matière d’écoconstruction.

Parallèlement, favoriser le retour vers l’emploi fait évidemment l’objet d’une attention toute particulière, avec le soutien à la mise en place de forums d’information sur les métiers qu’offre le BTP, la création d’espaces de rencontre avec les employeurs, les aides à l’élaboration d’un projet professionnel et à l’apprentissage des techniques de recherche d’emploi mais aussi avec le financement de tenues de travail, caisses à outils et équipements de protection individuelle des stagiaires en formation, sans oublier la mise en place de chantiers-écoles ou d’insertion et d’ateliers pédagogiques.

Pour autant, créer les conditions nécessaires à la reconstruction du lien social s’avère souvent un préalable à la réinsertion professionnelle des publics en difficulté : en effet, l’exclusion peut être tout autant liée au mal-logement ou à la précarité énergétique qu’aux difficultés d’intégration, aux problèmes de santé physique ou psychologique, voire de comportement, d’où le soutien apporté par ces fondations à des actions de lutte contre l’illettrisme ou le décrochage scolaire mais aussi contre les addictions ou les violences faites aux femmes, et en faveur de l’apprentissage de la citoyenneté ou du bénévolat comme opportunité d’engagement civique.

Dans le même esprit, les projets visant au développement de la pratique du sport sont aussi régulièrement soutenus, dans la mesure où celle-ci offre un cadre propice à la socialisation : respect des règles, sens de l’équipe, définition d’objectifs et dépassement de soi sont autant de clés utiles dans le monde du travail, amenant ces fondations à contribuer à l’achat de matériel et d’équipements individuels ou collectifs ainsi qu’à la rénovation ou à la mise aux normes d’espaces sportifs, voire à l’organisation de compétitions. Enfin, la mobilité est une autre de leurs priorités, en tant que facteur essentiel d’autonomie personnelle, notamment en zone rurale, mais aussi parce qu’elle conditionne bien souvent les déplacements tant professionnels que ceux liés à la formation, d’où le financement de permis, de simulateurs de conduite et d’initiatives visant à prévenir le risque routier, de même que l’équipement de plateformes de mobilité ou l’achat de vélos, scooters et véhicules de transport collectif.

Soutenir des actions concrètes

En matière de critères de sélection des dossiers soutenus, les convergences ne manquent pas non plus. Ainsi ces fondations accordent-elles prioritairement leur aide à des projets qui s’inscrivent dans la durée et sont susceptibles de profiter au plus grand nombre par leur caractère mutualisable, en étant susceptibles d’être à terme redéployés ailleurs et par d’autres associations, avec le souhait que les réussites et les bonnes pratiques soient partagées par d’autres acteurs. Toutes privilégient aussi les actions de terrain apportant des réponses pratiques, opérationnelles, aux besoins des publics en situation d’exclusion mais aussi celles qui contribuent, par leur ancrage local, à revivifier les territoires. Si elles n’accompagnent ni les projets à vocation sociale sans caractère économique ni ceux relevant du développement durable sans dimension solidaire, elles sont en revanche sensibles aux dossiers caractérisés par l’absence de partenariat financier alternatif ou par le désengagement des collectivités. Il est à noter qu’à l’étape de la sélection des dossiers, les relations qu’entretiennent les fondations avec le réseau des acteurs locaux de la réinsertion sont un élément-clé quant à l’évaluation des porteurs de projet. En effet, l’expérience montre que la production d’un rapport d’activité sur papier glacé et en quadrichromie n’est pas forcément un gage de moralité : pour quelques-uns, l’insertion est un business comme un autre. Enfin, leur bonne connaissance des partenaires et des outils de la formation professionnelle, particulièrement riche dans la branche, constitue souvent un autre atout dans la mise en place des synergies nécessaires à la réussite du projet.

Pour ce qui la concerne, la Fondation de la Fédération Française du Bâtiment intervient dans les mêmes domaines et selon les mêmes critères, mais avec toutefois trois particularités. La première porte sur la localisation des actions qu’elle soutient : chacune d’elles étant systématiquement suivie et évaluée par un référent local membre du réseau FFB, son champ d’intervention se limite en conséquence à l’Hexagone et aux territoires ultra-marins, ce qui n’est évidemment pas le cas des fondations des majors du BTP, très présents à l’international. Dans ce cadre, la Fondation FFB s’est aussi attachée très tôt à mieux prendre en compte la nouvelle réalité à la fois géographique et socio-démographique de la précarité, essentiellement localisée dans les zones rurales éloignées des bassins d’emploi les plus dynamiques, comme l’a bien mis en lumière le géographe Christophe Guilluy dans son ouvrage désormais fameux : Fractures françaises 2. Il y décrivait la fracture croissante entre une « France des métropoles » et une « France périphérique », dont il rappelait qu’elle rassemble en fait l’essentiel de la population, ajoutant de façon prémonitoire : « Ne pas répondre rapidement à ces demandes sociales serait prendre le risque d’accentuer une crise qui est aussi identitaire. » La seconde particularité de la Fondation FFB porte sur le partenariat qu’elle a noué dès sa création avec l’École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment 3, qui propose des formations, spécialisées et à la carte, préparant aux fonctions de management d’entreprise et débouchant sur un diplôme de niveau licence. Dans le cadre de leur cursus, les stagiaires de chacune des six promotions annuelles doivent concevoir et mener à bien un projet collectif. De fait, leur choix se porte majoritairement sur des actions solidaires de proximité au bénéfice de publics fragilisés, dont ils assurent la coordination et la conduite avec le soutien financier de la fondation. Au-delà de la mise en application des techniques de conduite de projet qui leur seront utiles plus tard, l’ambition est surtout de transmettre aux nouvelles générations de dirigeants les valeurs de générosité et de solidarité de leurs aînés. La troisième particularité est plus anecdotique, mais elle mérite d’être évoquée : elle repose sur la nature de syndicat professionnel de son fondateur 4 et du régime fiscal qui lui est propre. N’ayant pas d’activité économique, la FFB est en effet exonérée de l’impôt sur les sociétés, avec pour conséquence que la subvention qu’elle alloue chaque année à sa fondation ne bénéficie pas du crédit d’impôt de 60 % accordé par l’administration fiscale en matière de dons.

Un investissement pour la dignité

Tandis que la puissance publique se désengage progressivement de ce qui relève pourtant de sa mission de protection des plus fragiles qu’elle a donc choisi de privatiser, le développement par la société civile d’actions de proximité ne se dément pas. Banque et assurance, services, industrie, transports, distribution, télécommunications, agroalimentaire, produits de luxe : beaucoup de grands secteurs d’activité ont choisi eux aussi d’affirmer leur solidarité en combattant une précarité qui n’apparaît pas seulement comme une forme de dysfonctionnement social mais comme la conséquence d’une désaffection pour le souci du bien commun. L’objectif poursuivi par ces fondations n’est pas pour autant, à l’image des œuvres de charité et des sociétés de bienfaisance d’hier, de porter secours, de soulager des misères : il consiste à permettre aux exclus de retrouver toute leur place au sein de la communauté nationale en leur offrant une alternative à la logique de la simple assistance. « Une main tendue pour un nouveau départ » est la devise de la Fondation FFB : une main tendue non pour « donner la pièce », mais pour proposer un contrat qui a pour postulat la confiance et pour finalité l’autonomie, grâce au retour vers l’emploi. Ce faisant, on est bien dans une logique entrepreneuriale de prise de risque. Mieux qu’un don sans lendemain, il s’agit d’un investissement dans le potentiel de femmes et d’hommes qui ne demandent assurément qu’une chose : retrouver dignité et estime de soi.

Tout comme la générosité des particuliers, cette mobilisation des entreprises au service de la reconstruction de liens qui sont de nature à la fois sociale, culturelle et territoriale, assume aujourd’hui une fonction déterminante de stabilisation qui en dit plus qu’un long discours sur la résilience de notre « vivre-ensemble ». Même si l’une comme l’autre ont un coût en matière de rentrées fiscales, le bénéfice qu’en tire la collectivité en termes de paix sociale n’a en revanche pas de prix.


Panorama national des générosités pour 2019

La Fondation de France produit un Panorama national des générosités. Ce panorama dresse un état des lieux complet : dons des particuliers, mécénat des entreprises, dons en nature, legs, etc. Il apporte des précisions sur la générosité exprimée à l’occasion d’événements exceptionnels comme l’incendie de Notre-Dame de Paris. Il s’appuie sur les déclarations fiscales, et sur des estimations pour ce qui ne fait pas l’objet de réductions d’impôts. En 2019, la générosité en France représente 8,5 milliards d’euros, dont 5 milliards des particuliers (60 %) et 3,5 des entreprises (40 %). Sur ces dernières années, alors que le nombre d’individus donateurs baisse, celui des entreprises mécènes augmente significativement.


Source : Fondation de France, 2021.



  1. Fondation Ambitions Travaux Publics, Fondation BTP Plus, Fondation du BTP, Fondation FFB ; Bouygues Construction, Cari, Eiffage, Spie-Batignolles, Vinci ; Lafarge, Schneider.
  2. Champs-Flammarion, 2013.
  3. www.esjdb.com.
  4. Dans le monde patronal, la FFB reste à ce jour la seule organisation syndicale à avoir créé une fondation, sous égide de la Fondation de France.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2022-6/les-fondations-du-btp-contre-la-precarite.html?item_id=6830
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