Marine JEANTET

Déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.

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La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

Lancée en octobre 2018, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté naît du constat que notre modèle social ne tient pas toutes ses promesses. Un nouveau mode de pilotage et de déploiement des politiques de solidarité a été inventé, plus participatif et plus ancré dans les territoires. Petite enfance, jeunes, insertion, accès aux droits, santé : différentes mesures ont été mises en place puis ajustées et complétées pour répondre à l’urgence sociale de la crise sanitaire.

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté c’est, depuis 2018, quatre ans de mobilisation et d’actions. Quel bilan ? Quels enseignements en tirer pour l’avenir ?

Le pari d’associer tous les acteurs

Dès son élaboration, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté portait un changement d’approche. Une nouvelle gouvernance des politiques de solidarité a été mise en place, refusant la déclinaison d’un plan descendant défini unilatéralement par l’État, afin de construire une véritable stratégie, définie et mise en œuvre avec l’ensemble des acteurs, visant des objectifs communs tout en laissant la place à l’adaptation et à l’initiative dans les territoires. Elle portait aussi la nécessité d’une approche de la lutte contre la pauvreté fondée sur des chantiers de transformation réellement interministériels et la mobilisation des compétences des collectivités territoriales.

Une délégation interministérielle dédiée a été créée et chargée d’une triple mission : organiser la concertation avec les acteurs ; coordonner l’élaboration de la stratégie ; assurer le suivi de sa mise en œuvre, au niveau national et dans les territoires. Un réseau de 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté a également été créé afin d’assurer son déploiement, financer des initiatives territoriales, lancer des appels à projets, décloisonner et coordonner l’ensemble des acteurs, collectivités territoriales, associations, ARS, rectorats, Caf, CPAM, directions régionales de Pôle emploi, missions locales. Placés auprès des préfets de région, il s’agit de hauts fonctionnaires expérimentés et ayant des expertises complémentaires. Leur capacité à porter une vision moderne des politiques sociales locales, soutenir les acteurs, monter des appels à projets, des partenariats, constitue un vecteur essentiel de transformation de l’action publique.

Un nouveau mode de collaboration avec les collectivités locales a été inventé, notamment en matière d’aide sociale à l’enfance et d’insertion. Visant des objectifs définis conjointement et basés sur des référentiels partagés, les départements ayant pleine liberté sur le choix des moyens pour y parvenir, et incluant une mesure d’impact via des indicateurs suivis annuellement, les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi ont été signées avec 97 conseils départementaux, 7 conseils régionaux et les 22 métropoles. Sur quatre ans, le budget de la contractualisation a représenté, pour l’État, plus de 730 millions d’euros.

Enfin, même si l’ambition d’un choc de participation a été freinée par la crise sanitaire, la contribution des personnes concernées a, elle aussi, été encouragée.

En termes de contenu, deux grandes orientations ont été retenues :

  • la lutte contre le déterminisme social, l’investissement social et la priorité donnée aux mesures en faveur des enfants et des jeunes ;
  • l’engagement d’une politique déterminée de sortie de la pauvreté par le travail.

Promotion de l’égalité des chances et affirmation des droits fondamentaux des enfants

Selon l’OCDE, il faudrait en France six générations pour qu’un descendant de famille très modeste atteigne le revenu moyen de la population. C’est une génération de plus que la moyenne des membres de l’OCDE. Aussi, l’accès de tous les enfants aux mêmes conditions de socialisation est une ambition forte de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Freinée par la crise sanitaire en 2020, la dynamique de création de places en crèche a repris depuis grâce au plan Rebond, qui permet de réduire le reste à charge pour les communes les moins riches et de les accompagner en ingénierie. Des dispositifs innovants mixant accueil ponctuel, soutien à la parentalité et insertion des parents sont en cours d’expérimentation. Fin 2021, 71 900 professionnels, personnels de crèche et assistants maternels ont également pu être formés afin d’améliorer la qualité des modes d’accueil.

Afin d’alléger le poids des dépenses d’alimentation pour les familles défavorisées et promouvoir la réussite scolaire de tous, des petits déjeuners gratuits ont été distribués dans les écoles de l’éducation prioritaire. Malgré le contexte sanitaire, 100 000 élèves ont bénéficié de ces petits déjeuners durant l’année scolaire 2020-2021 et près de 250 000 devraient en bénéficier au cours de cette année. Cinq millions de repas à 1 euro ou moins ont également été servis dans les cantines de 1 200 communes rurales défavorisées.

Un soutien inédit pour les jeunes

La stratégie pauvreté a renforcé deux dispositifs de soutien aux jeunes sans formation ni emploi : le parcours contractualisé vers l’emploi et l’autonomie et la garantie jeunes, dont la montée en charge s’est nettement confirmée. Dans la continuité de ces dispositifs, une modalité du contrat d’engagement jeunes lancé en mars 2022 est dédiée aux jeunes sans revenu, sans logement et en rupture avec les institutions, afin de leur proposer une solution de remobilisation traitant l’ensemble des problématiques qui les affectent, en leur reconnaissant un droit à l’erreur et au retour.

Pour aider les jeunes à faire face à la crise, le gouvernement a également mobilisé des moyens inédits avec le plan « 1 jeune, 1 solution » (9 milliards d’euros), qui a bénéficié à plus de 3 millions de jeunes, étudiants, sans formation ou sans emploi, complété par des actions de repérage des publics invisibles financées dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences.

Une attention toute particulière a été portée à la lutte contre toutes les formes de décrochage des jeunes. L’obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans a été mise en œuvre, pour organiser un meilleur repérage de ces jeunes par les services de l’Éducation nationale et les missions locales : 65 000 jeunes sur les 90 000 identifiés sont désormais pris en charge avec des solutions adaptées.
Enfin, la situation des jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) a été une priorité. Un référentiel a d’abord été diffusé, portant sur l’accès de ces jeunes, à leur majorité, à un logement et à des ressources financières, sur l’ouverture des droits et sur le maintien d’un lien avec les services de l’ASE : 75 % des jeunes sortants d’ASE ont été pris en charge dans le cadre du référentiel. Début 2022, la loi relative à la protection des enfants a créé le projet pour l’autonomie, afin de proposer à ces jeunes une solution de logement, un accompagnement éducatif et un soutien financier jusqu’à leurs 21 ans.

Un accompagnement renforcé vers l’activité pour sortir de la pauvreté

La priorité a été donnée à l’accélération de l’entrée en parcours des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Début 2022, 51 % des allocataires du RSA sont orientés vers un service référent en moins d’un mois. Ce taux était de 45 % en 2019. C’est également l’intensité de l’accompagnement qui a été renforcée, avec une montée en charge de l’accompagnement global. Par ailleurs, un soutien massif a été apporté au secteur de l’insertion par l’activité économique.

Avec le service public de l’insertion et de l’emploi, l’État, les collectivités territoriales, les associations et les entreprises agissent ensemble pour mettre en place un parcours sans couture vers l’insertion. Cette démarche couvre dorénavant 80 % du territoire national.

En parallèle, des actions ont été lancées pour lever les freins à la reprise d’activité : multiplication par quatre du nombre de crèches à vocation d’insertion professionnelle depuis 2018, soutien à la mobilité par la création de plateformes de mobilité dans les départements qui en sont dépourvus, financement de diagnostics mobilité proposés par Pôle emploi, de microcrédits pour acquérir un véhicule, financer un permis de conduire, etc.

Un accès facilité aux droits essentiels

Afin d’améliorer l’accès aux droits, les départements se sont engagés à mettre en place un accueil social inconditionnel à moins de trente minutes de transport en tout point du territoire. Fin 2020, cet accueil de proximité était effectif sur 93 % du territoire. Et 500 points conseils budget ont été ouverts afin d’apporter aux ménages un accompagnement budgétaire et prévenir le surendettement.

Au sein de ces lieux d’accueil, l’accompagnement des publics a été renforcé grâce au recrutement de 4 000 conseillers numériques et à la formation de plus de 8 000 travailleurs sociaux. Les professionnels de la filière socio-éducative vont bénéficier d’un investissement massif à hauteur de 1,3 milliard d’euros : revalorisation des rémunérations de 183 euros net par mois, modernisation du cadre conventionnel dans le secteur sanitaire et social, formation des professionnels et renforcement de la validation des acquis de l’expérience, plan d’amélioration de la qualité de vie au travail.

L’accès aux droits a également été facilité par une offre de domiciliation accrue grâce à 15 millions d’euros pour soutenir les organismes agréés, et des ouvertures de droits automatisées comme l’accès à la complémentaire santé solidaire pour les allocataires du RSA.

Parce que les publics précaires présentent plus fréquemment un risque de pathologies lourdes, notamment cardiovasculaires ou mentales, des actions ont été mises en place pour renforcer la prévention et lutter contre les inégalités de santé : outre le 100 % santé et la mise en place de la complémentaire santé solidaire pour garantir un remboursement total des soins, le Ségur de la santé et les assises de la santé mentale ont alloué 160 millions d’euros pour financer des dispositifs innovants et adaptés aux personnes en situation de précarité, basés sur « l’aller vers » et un accompagnement à la fois sanitaire, social et psychologique des patients.

L’accès à l’alimentation a fait l’objet de mesures fortes, avec des financements exceptionnels pour l’aide alimentaire pendant la crise (94 millions d’euros) et le quasi-doublement des financements européens pour la période 2021-2027.

Lancé en septembre 2017, le plan quinquennal « pour le logement d’abord » vise à apporter une réponse structurelle aux situations des sans-abri en France. Désormais, le logement est vu comme la première étape vers une insertion durable des personnes sans domicile, qu’elles viennent directement de la rue ou d’un centre d’hébergement. Quatre ans après son lancement, les résultats du plan sont encourageants : 330 000 personnes sans domicile, à la rue ou en centre d’hébergement, ont accédé au logement grâce à ce nouveau modèle d’action.

Pendant la crise sanitaire, le gouvernement a par ailleurs apporté une réponse exceptionnelle aux besoins de mise à l’abri : 40 000 places d’hébergement supplémentaires ont été créées en 2020- 2021, portant le parc total à 200 000 places, qui ont été maintenues ouvertes à l’issue de la trêve hivernale en 2021. Cette fin de la gestion dite « au thermomètre » s’accompagne d’une transformation qualitative du parc d’hébergement et d’actions ciblées répondant aux besoins de populations spécifiques. Ainsi, 1 000 places ont été financées pour des personnes ayant un long parcours de rue et des problématiques de santé mentale ou d’addiction et 1 500 places sont dédiées aux femmes enceintes ou accompagnées d’un nourrisson.

En 2022, 2,7 milliards d’euros sont mobilisés pour financer les politiques d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile, soit une hausse de 500 millions par rapport à 2021 (+ 23 %) et de près de 50 % depuis le début du quinquennat.

Un soutien monétaire pour les plus démunis

Accéder à un revenu décent conditionne la sortie de la pauvreté et la faculté à se projeter dans un parcours d’insertion. L’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation aux adultes handicapés ont été revalorisées, la prime d’activité fortement étendue. Les familles monoparentales ont fait l’objet de mesures dédiées : bonification de la prime d’activité, hausse de 30 % du complément de libre choix du mode de garde, déploiement d’un nouveau service public des pensions alimentaires. Face à l’augmentation de certaines dépenses, des réponses ont été apportées, comme la revalorisation du chèque énergie. Et pendant la crise sanitaire, des aides exceptionnelles sont venues, en 2020, soutenir les familles précaires et les jeunes.

En conclusion, même si la crise sanitaire a fortement ralenti l’impact des transformations structurelles enclenchées, de nombreux objectifs ont été pleine ment réalisés. Ce contexte exceptionnel plaide pour une consolidation des chantiers lancés, et notamment :

  • un renforcement de la vocation interministérielle de la stratégie pauvreté. Si le plan antérieur de lutte contre la pauvreté était largement l’addition de feuilles de route ministérielles disjointes, la stratégie pauvreté s’est attachée à des ambitions requérant une forte coordination interministérielle et une étroite coordination avec les collectivités locales. La bataille pour l’égalité des chances, l’inclusion dans l’emploi et la société comme la lutte contre la pauvreté est en effet l’affaire de tous. Cette coordination est aussi exigeante qu’indispensable et son approche doit être renforcée dans les politiques de solidarité ;
  • une gouvernance territoriale plus intégrée des politiques de solidarité. La fusion des contractualisations et l’outillage des gouvernances territoriales par les commissaires à la lutte contre la pauvreté doivent être encouragés. Cette gouvernance pourrait être élargie (par exemple aux conseils régionaux, dont les compétences en matière de prévention du décrochage scolaire, de formation ou de mobilité rejoignent les ambitions de la stratégie pauvreté) et enrichie sur le fond (par exemple sur les questions de jeunesse et de logement).

Sur le fond, les priorités à poursuivre seront arbitrées par le gouvernement. Le bilan dressé conduira à s’interroger sur l’opportunité d’un service public de la petite enfance pour consolider l’égalité des chances, la simplification des démarches administratives pour l’accès aux droits, et, dans toute la mesure du possible, leur automatisation ; un pilotage et une coordination renforcée de l’aide alimentaire, la refonte de la gouvernance de l’insertion permettant de fédérer dans une instance unique les acteurs, dans l’intérêt de l’usager, en lieu et place de la complexité de notre structure institutionnelle actuelle ; la consolidation de l’effort et de l’intensité de l’accompagnement vers l’emploi des bénéficiaires du RSA et le passage à l’échelle d’offres d’insertion qui ont fait leurs preuves (par exemple la médiation active en emploi, la généralisation des clauses sociales ou la création de plateformes de coordination sectorielle, sur la maîtrise de la langue ou l’inclusion numérique) ; l’essor continu de la dynamique du logement d’abord et l’ancrage de la nouvelle gouvernance territoriale des inégalités de santé. La priorisation de ces chantiers et les modalités de leur déploiement appelleront d’abord, avant des arbitrages, une concertation large.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2022-6/la-strategie-nationale-de-prevention-et-de-lutte-contre-la-pauvrete.html?item_id=6827
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