Jean MICHELIN

Expert en formation professionnelle, administrateur de WorldSkills France.

Partage

Les WorldSkills : un concours international des compétences

La compétitivité économique passe par l’excellence des compétences. Engagés dans une olympiade internationale des métiers, 85 pays organisent tous les deux ans une compétition globale, permettant des comparaisons en la matière. De cette mobilisation exceptionnelle promouvant la jeunesse ressortent des nations plus ou moins tournées vers la performance et plus ou moins investies dans la reconnaissance du travail.

La compétition entre les nations s’analyse et s’incarne chaque jour dans les domaines économiques, industriels, financiers, culturels, éducatifs. Mais il est une dimension bien moins visible, celle des compétences. Elle sous-tend pourtant toutes les autres. Elle exige certes des savoirs, multiples et toujours plus nombreux, mais pas seulement. La compétition des compétences réside dans la maîtrise des données technologiques, dans l’application stricte de techniques, de gestes et de savoir-faire rigoureux. Plus précisément, il s’agit de savoir exécuter, afin de réaliser des biens et des services dans un environnement exigeant de performance économique.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, quelques pays européens soucieux d’ouvrir les frontières aux échanges culturels saisissent la proposition espagnole de participer à un concours dont le but est de comparer leurs savoir-faire professionnels respectifs, et par là même de comparer leurs méthodes de formation professionnelle. En soixante-dix ans, le concours n’a cessé de se développer et d’évoluer dans sa finalité. Il est devenu la plus grande manifestation mondiale consacrée à l’excellence des métiers portée par la jeunesse.

En 2020, 85 pays tiennent à participer à cette vitrine mondiale pour prouver qu’ils ne sont pas en reste dans le concert des nations. Ils veulent aussi tirer profit de la confrontation entre les experts internationaux, repérer les méthodes mises en œuvre par les uns, les pratiques de gestion du temps et des postes de travail par les autres, les dernières expressions créatives de chaque profession, les astuces trouvées pour gagner, aller plus vite, améliorer la qualité et le résultat, atteindre l’excellence.

La compétition WorldSkills, ses origines, sa finalité, son organisation

En 1947, l’Espagne franquiste organise un concours de formation professionnelle ouvrière ; 7 000 jeunes y participent. En 1950, le concours international de formation professionnelle s’ouvre à d’autres nations européennes. En raison de l’opposition des syndicats des personnels de l’Éducation nationale, le gouvernement français ne peut y adhérer. Fort heureusement, l’Association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France (AOCDTF) s’y engage, convaincue par la formule de l’initiateur espagnol : « Il faut convaincre les parents, les formateurs et les chefs d’entreprise qu’un avenir prometteur est destiné à notre jeunesse, si elle suit un apprentissage de qualité. »

Dès les premiers concours, les experts français expriment leur enthousiasme : « À la vérité, il nous apparaît que le concours est un moyen de mobiliser les énergies du pays en vue de développer en nombre et en qualité la compétence professionnelle de la main d’œuvre nécessaire à l’expansion économique rapide en cours. » 1

En 1989, les Compagnons, les principales organisations professionnelles (Union des industries métallurgiques, Fédération du bâtiment) et les ministères du Travail et de l’Économie créent le Comité français des olympiades des métiers (Cofom). Au cours de la période 2000 à 2020, le mouvement prend un essor fulgurant, en France et dans le monde.

Aujourd’hui, des centaines de milliers de jeunes professionnels de moins de 25 ans, originaires de 85 nations, participent à des sélections régionales, nationales, européennes et internationales, dans 80 professions.

Le mouvement s’identifie par son nom, WorldSkills, repris par tous les pays adhérents. En France, l’association Cofom se nomme désormais WorldSkills France.

Son ambition se traduit dans sa charte internationale de 2019 : « Améliorer le monde grâce au pouvoir des compétences, promouvoir les métiers et convaincre partout à travers le monde qu’ils apportent une contribution essentielle au succès économique des pays et à l’accomplissement personnel des individus. » 2

L’ampleur mondiale de la compétition tient à l’engagement politique des gouvernements des pays membres et de leurs institutions régionales. Les derniers concours internationaux ont eu lieu à Londres (2011), Leipzig (2013), São Paulo (2015), Abu Dhabi (2017) et Kazan (2019). Viendront Shanghai en 2022 et Lyon en 2024. La compétition bénéficie du soutien d’entreprises planétaires comme Samsung, Saint- Gobain, Siemens, Festo, AWS Educate, EDF, Point P.

De l’olympisme pour des secteurs et des métiers en compétition

Construit sur des bases et sur une éthique qui sont celles des jeux olympiques sportifs, le concours définit des règles strictes. La compétition entre les jeunes et les nations doit être réelle, sérieuse et cordiale. Elle permet notamment une comparaison des savoirs technologiques, des compétences professionnelles et des niveaux de considération des métiers de production et de services d’un pays à l’autre. Elle révèle l’état d’esprit de chacun, jeune, pays, système de formation, secteur d’activité, dans une recherche de qualité, de perfection, vers l’excellence professionnelle.

La sélection des finalistes participant aux concours diffère d’un pays à l’autre. En France, des présélections sont organisées dans les territoires, en coopération avec les conseils régionaux, avant la sélection de l’équipe de France lors d’une finale nationale qui a lieu tous les deux ans. Cette phase finale regroupe les lauréats de chaque région dans chacun des métiers. Une fois constituée, l’équipe de France est entraînée à un très haut niveau de compétition lors de regroupements consacrés à la performance technique, à la préparation physique et mentale.

La compétition WorldSkills, au-delà de l’estime réciproque entre concurrents et de la force d’expression des métiers qu’elle permet, constitue une vitrine de la diversité des techniques, des méthodes et organisations du travail, des astuces et de l’ingéniosité des pratiques.

De nouveaux métiers intègrent tous les deux ans la compétition internationale. Outre les métiers historiques de l’industrie, du bâtiment, de l’automobile, de la restauration et des soins corporels, sont entrés en compétition, ces dernières années, ceux de l’ingénierie, de la bureautique, du numérique, de l’environnement et des services à la personne.

En soixante-dix ans d’existence, le concours a suivi l’évolution des techniques et des emplois. Son niveau ne cesse de s’élever pour atteindre véritablement le très haut degré de l’excellence.

La France se situe dans le top 10 des concours internationaux et dans le top 5 aux EuroSkills, c’est-à-dire au niveau européen. Elle n’est malheureusement pas présente dans tous les secteurs, par désintérêt de certaines organisations professionnelles et écoles ou instituts de formation, ou encore du fait de choix pédagogiques erronés, par exemple en électronique.

La compétition économique est d’abord la compétition des compétences

Cette compétition illustre l’interdépendance entre économies et compétences. Pour en souligner l’importance, on peut reprendre les propos du président russe, mécontent des formations par trop conceptuelles et théoriques de son pays, qui décide, au milieu des années 2010, d’adhérer au mouvement en indiquant qu’« un pays moderne a besoin d’ingénieurs opérationnels en nombre, ingénieux et concrets, plus que de théoriciens à la tête trop pleine ».

L’engouement mondial depuis deux décennies pour la compétition WorldSkills confirme cette prise de conscience des dirigeants politiques et professionnels. Mais les objectifs de promotion des métiers, d’adaptation des logiques de formation, de considération de la jeunesse au travail et de recherche de l’excellence professionnelle sont loin d’être atteints dans de nombreux pays, dont le nôtre.

C’est pourquoi, à l’initiative du président de WorldSkills France, l’ensemble des forces vives de notre pays, organisations d’employeurs et syndicats, se sont unanimement regroupées derrière le président de la République, les conseils régionaux, l’Assemblée nationale et le Sénat pour obtenir que la France organise la compétition mondiale en 2024.

Nos dirigeants ont compris que le concours mondial de la jeunesse des métiers, dans la compétition permanente entre les pays due à la mondialisation galopante, présente un intérêt stratégique. Car il s’agit bien d’un mouvement qui permet de juger du niveau des nations dans l’exercice des métiers et de la qualité des formations professionnelles en prise avec la production réelle.

Savoir tirer les enseignements de la compétition

Un premier enjeu vise à rétablir la juste place de la compétence et de l’excellence professionnelle dans les discours médiatiques qui, forts de leur puissance et de leur envergure, développent des slogans commerciaux, vantent les biens et les services pour les vendre, mais oublient trop souvent de mettre en exergue les savoir-faire qui sous-tendent leur fabrication, et les compétences des opérateurs de tous niveaux.

Dans le monde actuel, la publicité des produits, les arguments de vente, les modalités financières d’achat finissent par écraser et occulter le travail de millions de personnes dont l’implication et les talents individuels et collectifs font la différence d’une entreprise à une autre, d’une société à une autre, d’une nation à une autre.

C’est bien l’acte de travail qui est directement la source de la qualité de réalisation d’un bien ou d’un service. Il dépend largement de la compétence et du niveau d’excellence des ouvriers, des maîtres d’œuvre, des artisans, des ingénieurs, des agents au service d’autrui.

Faut-il le rappeler, la compétitivité se situe avant tout à ce niveau, et si l’espionnage pour copie des technologies est une réalité, l’espionnage existe aussi, depuis toujours, pour vol ou achat de compétences manuelles et artistiques. Trop de nos talentueux jeunes créateurs mais aussi de nos techniciens, ingénieurs et opérateurs sont repérés et happés par la concurrence.

Un deuxième enjeu est culturel. Il relève de l’attitude des décideurs qui œuvrent démocratiquement dans les lieux de consultation, de négociation et donc de définition des conditions et modalités de formation pour atteindre l’excellence dans les actes de travail. Ce qui suppose des orientations pédagogiques sans tabou vis-à-vis de la performance économique. La compétition WorldSkills n’a pas pour finalité de développer l’élitisme, pas plus que d’inféoder la formation au productivisme. Au contraire, elle ambitionne de développer en France une culture collective de respect des métiers et des jeunes qui les pratiquent, de valoriser les professionnels qui y excellent et, par là même, d’agir pour la qualité et la promotion de leur apprentissage et de leur formation.

Les concours se déroulent sous forme d’ateliers réels et sont ouverts au grand public, aux collégiens, aux enseignants et formateurs, aux parents et professionnels. Des dizaines de milliers de personnes visitent les concours français, des centaines de milliers les concours internationaux.



Un troisième enjeu, plus global, est relatif à l’insuffisante, voire à l’absence de considération de certains pays pour leur industrie au sens large du terme. La compétition WorldSkills révèle cette disparité, et ne fait que confirmer qu’Allemagne, Autriche, Suisse, Japon et Corée du Sud promeuvent leur industrie, l’excellence de leur formation professionnelle et celles et ceux qui y travaillent beaucoup plus que d’autres pays, dont la France. Par voie de conséquence, cela se traduit dans les résultats médiocres enregistrés par plusieurs professions. De même, notre absence dans plusieurs épreuves correspond bien entendu aux pans de notre industrie qui ont disparu.

« C’est en copiant qu’on invente » (Paul Valéry)

Des pays plus affûtés, moins arrogants que d’autres, s’adonnent à l’observation méticuleuse et au copiage des compétences. Depuis toujours le Japon, la Chine, la Corée du Sud excellent dans cet exercice. C’est maintenant le cas de la Russie, du Brésil. Ce sera le cas demain de l’Inde, du Nigeria. Durant la compétition WorldSkills, des personnes prennent des notes en permanence, expertisent et photographient avec le même sérieux et la même concentration que les candidats.

Côté français, les centaines d’experts et jurés engagés à tous les niveaux du concours reviennent enrichis de la confrontation et des relations nouées. Il faut toutefois intéresser davantage le monde des formateurs en France, assez en retrait aujourd’hui. Des pays, qui ont rejoint plus récemment la compétition, ont fait table rase de leurs standards de formation qui s’étaient, selon leurs propres propos, complexifiés et bureaucratisés à l’extrême, pour adopter les descriptifs techniques internationaux de WorldSkills International 3.

Cette façon de faire est à double tranchant. Elle peut effectivement contribuer à moderniser et surtout à actualiser des pratiques qui s’enlisent avec le temps. Elle peut aussi conduire à un déploiement totalisant, à l’initiative des plus forts, comme c’est le cas aujourd’hui avec les excès de normalisation dans les domaines de la haute technologie et du numérique.

La finale internationale de Lyon 2024 a, en tout cas, pour objectif de participer à cette réforme culturelle dont notre pays a besoin.


  1. Pour l’histoire, l’actualité et les perspectives du mouvement, voir https://www.worldskills-france.org.
  2. Cette ambition s’inscrit explicitement dans l’objet de WorldSkills France, dont la modification a été publiée au Journal Officiel le 1er décembre 2020 (https://www.journal-officiel.gouv.fr/associations/detail-annonce/associations_b/20200048/1559).
  3. Voir tous les documents concernant les événements, les conclusions et propositions sur le site https://worldskills.org.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2021-3/les-worldskills-un-concours-international-des-competences.html?item_id=5780
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article