Sandra HOIBIAN

Directrice générale du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC).

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Demande de transparence ou de sincérité ?

La demande de transparence envers l'entreprise s'accroît, quand la confiance en celle-ci s'érode. Les obligations de transparence, par exemple en matière de consommation, noient les individus sous un déluge d'informations. La transparence seule n'est pas l'objectif ultime des citoyens et des salariés, car ils savent qu'elle ne suffit pas à leur donner une capacité d'agir sur le réel. Ils sont davantage en quête de sincérité et de possibilités de collaboration.

Transparence de l'information donnée aux consommateurs dans le cadre du récent règlement général de protection des données (RGPD), transparence de l'information sur les méthodes de recrutement et d'évaluation des candidats, transparence fiscale et comptable, dans l'information en matière environnementale et sociale, dans la publication des appels d'offres et des critères de choix... En quelques années, les obligations légales imposant la transparence aux entreprises se sont multipliées dans de nombreux domaines.

Elles s'accompagnent d'un mouvement plus général qui valorise la transparence envers tout l'écosystème de l'entreprise : que ce soit envers ses clients, ses fournisseurs, ses salariés, et même plus généralement l'ensemble des citoyens. Avec pour ambition de créer ainsi les conditions de la confiance - en interne, dans l'entreprise, comme en externe, avec ses partenaires -, car celle-ci est un des rouages de la coopération et de la fluidité des marchés.

De faibles niveaux de confiance

Et pourtant, alors même que se multiplient les démarches de transparence, l'enquête « Conditions de vie et aspirations » du CRÉDOC montre que, au cours des dernières années, la confiance des citoyens dans les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, a eu tendance à s'éroder sérieusement :

  • 12 points en quatre ans pour les entreprises publiques,
  • 7 points pour les entreprises privées.

Dans le même temps, la confiance dans les associations, autre type d'organisations pouvant servir d'étalon du climat (car de longue date très appréciées par la population), résiste beaucoup mieux. Il est donc possible d'échapper à la spirale généralisée de la méfiance qui a eu tendance à se développer ces dernières années dans la société française, nourrie par un rejet grandissant des institutions, le souhait de faire table rase d'un modèle de société verticale jugé obsolète, et un contexte sécuritaire peu propice à la confiance dans les relations interpersonnelles.

Proportion de français déclarant avoir confiance dans les entreprises privées, les entreprises publiques et les associations.

Graphique

Source : CRÉDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », 2018.

Quelques composantes de la confiance, en %

Graphique

Source : CRÉDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », 2015.

En 2015, le CRÉDOC approfondissait les fondements de la confiance pour quatre types d'acteurs (entreprises privées, grandes marques de consommation, entreprises publiques et organismes de protection sociale). Premier constat, quels que soient les critères proposés, on retrouve toujours le même palmarès : les organismes de protection sociale sont toujours mieux évalués que les entreprises publiques, elles-mêmes suivies par les grandes marques de consommation et, en bout de course, par les sites Internet d'achat en ligne. Les grandes marques de consommation, les sites de vente en ligne et les entreprises publiques sont tous trois mal évalués quant à leur capacité à privilégier l'intérêt de leurs usagers/clients avant le leur. Plus surprenant, les entreprises sont mal évaluées y compris sur des critères où l'on aurait pu s'attendre à une prime au secteur privé comme « le fait de répondre à ses attentes » : 54 % des Français estiment ainsi que les grandes marques de consommation répondent à leurs attentes, contre 63 % pour les organismes de protection sociale. Mais là où la dichotomie est la plus nette, c'est sur la question de la fiabilité de la parole donnée : la parole des organismes de protection sociale est jugée relativement crédible, celle des acteurs du privé beaucoup moins, les entreprises publiques se situant à mi-chemin.

Donner des informations ne suffit pas (ou plus ?) à rendre crédible la parole donnée. La demande de la société française va, en effet, bien au-delà d'une « transparence » des informations. Dans une société numérique où l'attention est une denrée rare, où les informations se multiplient et envahissent les espaces sans qu'il soit réellement toujours possible de distinguer le vrai du faux, donner des informations à tous et tout le temps n'est vraisemblablement plus une clé suffisante pour créer de la confiance.

À l'instar des astérisques renvoyant à des mentions détaillées en tout petits caractères si souvent moquées concernant les publicités ou les contrats d'assurance, la suspicion domine. L'information délivrée serait de plus en plus dissimulée sous un flot continu d'informations, empêchant les citoyens d'accéder à une réelle compréhension, car le temps consacré à traiter ces masses d'information est nécessairement contraint.

La transparence n'est pas l'objectif ultime

De fait, lorsqu'on demande aux Français de décrire ce que serait une société idéale, le mot transparence n'émerge pas spontanément. Les trois principes de la devise républicaine française arrivent en bonne place des réponses : liberté, égalité, fraternité. Ces mots peuvent être lus comme l'attachement au modèle républicain français. Ils entrent également en résonnance avec le formidable développement récent de l'univers collaboratif et participatif, dans la mesure où l'égalité - une place égale pour chacun dans le processus - et la liberté - avec l'absence de chef ou de hiérarchie et l'initiative venant de chacun - sont des conditions nécessaires à la collaboration. Mais surtout, ces trois mots s'accompagnent, dans l'esprit des Français, de valeurs comme « l'entraide », « le respect », « la solidarité », « le partage » ou « le travail » pour décrire une société idéale. Rejoignant ainsi les racines étymologiques du mot « co-laboratif » qui signifient « l'action de travailler en commun ». La transparence s'appuie sur des principes finalement encore assez verticaux et descendants : ceux qui détiennent le pouvoir (financier, de décision, etc.) ont l'obligation d'informer les autres parties prenantes. Peut-on s'arrêter à la transparence alors que le principe d'une plus grande implication des citoyens, salariés, consommateurs, usagers, et d'une collaboration entre eux se diffuse dans les imaginaires du grand public ?

Plus que la transparence « totale » (en admettant qu'elle soit possible), la sincérité des choix de l'information délivrée, des intentions qui l'accompagnent, des usages qui entourent l'information, qu'elle soit d'ailleurs descendante ou montante (des consommateurs vers les entreprises), semble de plus en plus incontournable. Prenons l'exemple, dans le champ de la consommation, des dispositifs d'évaluation de la satisfaction du client, qui sont devenus quasi systématiques. Lors de l'achat d'un produit ou d'un service ou lors d'un contact d'un service clients, on demande aux consommateurs de noter leur satisfaction sur différents aspects (par e-mail, par Internet, SMS, ou directement en point de vente).

Selon l'enquête « Conditions de vie » du CRÉDOC, pas moins de 43 % des Français pensent que ces dispositifs servent surtout à noter les vendeurs et ne sont pas utiles pour les clients. Finalement, une courte majorité seulement (54 % exactement) pense que ces dispositifs d'évaluation permettent avant tout d'améliorer les services clients. La sincérité des intentions est donc ici fortement remise en cause.

Pour vous, que serait une société idéale ? dites-moi tous les mots ou expressions qui vous viennent à l’esprit.

Nuage de mots clefs

Source : CRÉDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », 2015.

Des salariés français moins engagés qu'ailleurs

Dans le champ du management, l'enquête de la Fondation de Dublin (Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail) sur la qualité de vie sur les conditions de travail (EWCS) de 2015 illustre concrètement la difficulté et les enjeux auxquels les entreprises sont aujourd'hui confrontées si elles souhaitent répondre aux aspirations sociétales de leurs clients et de leurs salariés. Cette étude approche le niveau d'engagement des salariés à travers un indice qui combine les réponses à différentes questions et affirmations (« au travail, je me sens plein d'énergie », « je suis enthousiaste au sujet de mon travail », « le temps passe vite quand je travaille », « je me sens épuisé à la fin de la journée », « je doute de l'importance de mon travail »). L'indice moyen de l'engagement des salariés français se situe en dix-huitième position parmi les 35 pays étudiés. De nombreuses dimensions peuvent évidemment expliquer cette situation. L'une d'entre elles a retenu notre attention. La France figure parmi les trois derniers pays dans lesquels les travailleurs ont le sentiment qu'ils peuvent influencer les décisions qui sont importantes pour leur travail : seuls 41 % pensent qu'ils peuvent peser, quand la proportion atteint 64 % dans les entreprises finlandaises, en tête du classement.

Le degré d'exigence de la société française vis-à-vis des informations progresse à mesure que la transparence se développe. Dans une société abreuvée d'informations, de données, tout dire peut finalement équivaloir à ne rien dire, et n'apaise pas vraiment les soupçons, ni ne crée durablement la confiance envers les entreprises. Qui parle ? D'où parle-t-il ? Quels sont ses objectifs ? Les informations transmises aux consommateurs, aux salariés, aux citoyens, aux pouvoirs publics sont-elles présentées et hiérarchisées avec sincérité, avec clarté ? Non pas pour manipuler, enjoliver la vérité, mais pour que les individus, les consommateurs, les citoyens soient en mesure de se saisir des questions, soient réellement en position de choix éclairé, et puissent ainsi avoir une réelle capacité d'action en retour ? En un mot, les conditions d'un réel échange et d'une collaboration sont-elles réunies ?

Proportion de travailleurs considérant qu’ils peuvent influencer les décisions qui sont importantes pour leur travail, en %

Carte europe

Source : Eurofound, Sixième enquête européenne sur les conditions de travail, 2015.

SOURCES

L'enquête « Conditions de vie et aspirations des Français » est un dispositif d'étude de la population existant depuis 1978, dans lequel de nombreux organismes et entreprises insèrent leurs questions. Cette étude est menée deux fois par an auprès d'un échantillon représentatif (méthode des quotas) de 3 000 personnes en hiver (en ligne) et de 2 000 personnes en juin (en face à face). Ce dispositif, accessible sur souscription, offre un recul historique unique et la possibilité de mettre en perspective les valeurs, les comportements et les attentes de la population dans de très nombreux domaines. Chaque année, le CRÉDOC met en lumière les grandes tendances qui parcourent l'opinion dans sa « Note de conjoncture sociétale », disponible sur souscription. Dernière édition : « 2018. Être l'entrepreneur de son bien-être ».

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-11/demande-de-transparence-ou-de-sincerite.html?item_id=3668
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