Pascal GUÉNÉE

Directeur de l'Institut pratique du journalisme de Paris-Dauphine. Président du comité d'organisation du Congrès mondial des écoles de journalisme (Paris, juillet 2019).

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Journalisme : transparence et protection des sources

Rechercher, vérifier et mettre en forme l’information pour la porter à la connaissance du public : tel est le métier du journaliste. Confronté aujourd’hui à un secret des affaires qui peut s’avérer préoccupant, il est parfois amené à révéler des secrets. Dans un règne de transparence, il doit éclairer le public tout en protégeant ses sources.

Peut-on parler de secret professionnel en ce qui concerne les journalistes ? N'est-ce pas en soi antinomique ? Lorsque l'on rencontre une personne tenue au secret professionnel, on veut avoir la certitude qu'elle ne pourra révéler à autrui sans notre accord ce que nous lui avons confié. La plupart du temps, le professionnel soumis au secret l'est par la loi, et il lui est interdit de divulguer des informations dont il est dépositaire « soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». En ce qui concerne les journalistes, la situation est inversée. A priori, sachant que mon interlocuteur est journaliste, et sauf à être particulièrement naïf, je sais que ce que je vais lui dire est susceptible, voire destiné à être porté à la connaissance du public. De ce devoir de transmission, il a fait son métier. Aussi, le journaliste n'est clairement pas la personne à laquelle il faut confier vos secrets, car c'est lui, en son intime conviction, qui décidera de ce qu'il est de l'intérêt supérieur du public de connaître. En revanche, il sait qu'un devoir s'impose à lui. Celui de protéger sa source s'il s'y est engagé.

Protéger ses sources

C'est là un point très important. Plusieurs chartes et codes de déontologie évoquent le secret professionnel, mais dans un sens différent de celui de la loi. Et si les chartes journalistiques de 1918 et de 1938 indiquent qu'« un journaliste digne de ce nom garde le secret professionnel », celle de Munich de 1971 en précise le sens : « Il ne divulgue pas la source des informations obtenues confidentiellement. » S'il décide de protéger ce secret, il le fait donc de sa volonté, il n'y est pas soumis par la loi au sens d'autres professions. Car ces chartes sont d'application volontaire. Elles donnent un cadre à l'exercice du métier, mais ne forment pas une sorte de serment que prêterait le journaliste au moment où il reçoit sa carte de presse. Quant à la loi française sur la protection des sources, elle est loin de faire l'unanimité.

Ce mot de secret est donc ambigu lorsqu'il s'agit de journalisme. Raison pour laquelle on ne le trouve pas dans les chartes de référence, comme celle de l'Agence France Presse, qui pourtant est explicite sur la protection des sources : « Les journalistes ont le devoir de protéger l'identité des sources confidentielles et des fixeurs, et de ne jamais les mettre délibérément ou consciemment en danger. La surveillance numérique est désormais courante, et doit être prise en compte lorsque l'on travaille sur des sujets délicats. Quand nous promettons la confidentialité à nos sources, nous devons être prêts à accepter toutes les conséquences judiciaires que cela peut entraîner. Les journalistes de l'AFP ne doivent jamais remettre à des tiers leurs enregistrements, leurs notes ou leurs images. Si on le leur demande, ils doivent consulter la rédaction en chef, qui avise si nécessaire la direction juridique. »

S'affranchir des règles

Les règles édictées par ces codes et chartes sont des cadres d'exercice de la profession auxquels le journaliste se réfère, mais ne doivent pas devenir une entrave à la liberté d'informer. C'est pourquoi il pourra exceptionnellement décider de s'en affranchir s'il considère que c'est dans l'intérêt supérieur du public d'avoir connaissance de l'information à laquelle il aura eu accès de cette manière. Toutes les chartes l'engagent à ne pas utiliser de méthodes déloyales, mais si une entreprise cadenasse tellement sa communication qu'il est impossible de vérifier des informations, alors il pourra passer outre cette règle, par exemple en se faisant recruter sans révéler sa qualité de journaliste pour enquêter de l'intérieur. Il en est de même avec la caméra cachée, trop souvent utilisée comme un simple artifice de dramatisation de la narration journalistique, mais qui peut aussi être le seul outil permettant de révéler une information. Dans tous les cas, lorsqu'il s'affranchit d'une règle, le journaliste a un devoir. Celui d'expliquer à son public pourquoi il a choisi d'utiliser cette méthode.

La transparence des sources

Et il en sera de même s'il décide de conserver le secret sur l'origine des informations qu'il a obtenues. Car, pour un journaliste, choisir l'anonymat de son informateur n'est pas la règle générale. La transparence des sources s'impose, leur secret en est l'exception. Il faut donc une bonne raison pour cela, notamment la protection de l'intégrité, de l'emploi, voire de la sécurité physique de sa source. Cette transparence, c'est aussi la garantie pour les publics que l'information peut être croisée et vérifiée par d'autres. On sait d'où vient une information et comment elle a été vérifiée, ce qui est fort difficile lorsque la source est anonyme, voire inconnue.

Dans un chapitre de son ouvrage de référence, Éthique et déontologie du journalisme, le professeur Marc-François Bernier, de l'université d'Ottawa, s'interroge sur les motivations des sources anonymes. Il en identifie plusieurs. Certaines altruistes, certaines égoïstes, certaines gratuites, d'autres politiques ou partisanes. Parfois, la source anonyme va vouloir révéler une situation qui lui semble intolérable. D'autres fois, elle va souhaiter nuire à un concurrent. Si le journaliste doit être conscient de la motivation de sa source, il n'a pas à décider si celle-ci est bonne ou mauvaise, mais s'il est de l'intérêt du public d'être informé. Et une source qui souhaite rester anonyme l'amènera à être encore plus vigilant sur l'un des fondamentaux de son métier : la vérification de l'information.

Ce secret qui fait naître la suspicion

Lorsque l'on a pour métier d'informer, se voir opposer un secret des affaires, c'est déjà commencer à tresser le voile du soupçon. Vu du côté du journaliste, le choix de ce mot ne pouvait que générer au mieux un grand malentendu et au pis une extrême suspicion. Dans une société qui prône la transparence, qu'est-ce qui pourrait justifier l'existence d'un secret, forcément là pour cacher ce qui est inavouable, suspect, illicite ? Apposé au mot « affaires », le terme « secret » est particulièrement mal choisi, par tout ce à quoi il peut renvoyer. Les fonds secrets, l'agent secret, les sociétés secrètes, le code secret… La conspiration ne semble jamais loin.

On comprend pourquoi la publication, le 30 juillet 2018, de la loi sur le secret des affaires entraîne de grandes inquiétudes dans la communauté journalistique et parmi tous ceux qui sont attachés à la liberté de l'information. Particulièrement au moment où s'allument des signaux très inquiétants quant à la liberté de la presse et des journalistes, même dans les plus grandes démocraties.

Cette loi sur le secret des affaires est la transposition d'une directive de juin 2016 de l'Union européenne. La Cour européenne des droits de l'homme considère, quant à elle, que le secret des sources des journalistes est la « pierre angulaire de la liberté de la presse » et un « véritable attribut du droit de l'information ». On le voit, l'ambivalence du terme est forte. Il est soit secret de dissimulation - le secret des affaires -, soit secret de protection - le secret des sources.

Un impossible secret ?

Wikileaks, Luxleaks, Panama Papers, Paradise Papers. Tout semble indiquer que la vague des fuites massives d'informations économiques et financières sensibles, grandement simplifiées par le digital, ne fait que commencer. Pour tenter de pallier ce risque, certaines organisations recourent désormais à des technologies low-tech, utilisant uniquement du papier pour transmettre les informations les plus sensibles. Certes, cela n'empêche pas l'usage du bon vieux photocopieur à la Pentagon Papers, mais protège des erreurs de destinataires et des copier-coller hasardeux. Et si la loi sur le secret des affaires entend intimider les journalistes, ceux-ci savent désormais mettre en place des contre-mesures, comme l'ont montré les créations de collectifs de journalistes pour traiter ces masses considérables d'informations divulguées.

Dans cette forme de guerre ouverte pour la transparence de l'information, ne faut-il pas craindre aujourd'hui que, lors de prochaines fuites, soient orchestrées des manipulations de grande ampleur, amplifiant à la puissance mille la technique du faux listing à la Clearstream ? Face à cela, une seule protection pour le journaliste : redoubler de vigilance, publier des informations vérifiées et scrupuleusement croisées, « fact-checkées » avec le plus grand soin, en prenant le temps nécessaire pour ce faire. C'est à ce prix que les médias fourniront l'information de qualité à laquelle le public a droit.

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