Sommaire N°16

Février 2007

Georges RIGAUD

Avant-propos

Les nouvelles politiques urbaines

Eduardo LOPEZ MORENO

Faire face à une urbanisation galopante et chaotique

Denise PUMAIN

Des villes européennes solidaires

François ASCHER

Les défis urbains de l'Europe : un point de vue français

Cliff HAGUE

Les défis urbains de l'Europe : un point de vue anglo-saxon

Bruno FORTIER

La ville s'est envolée

Thierry JOUSSE

Des villes, des films et des fantomes

Thierry PAQUOT

En route vers l'éco-urbanisme ?

Jean-Michel ROUX

L'aménagement urbain contre la fracture sociale

David TELLER

Un programme pour améliorer la coopération entre les villes

Trevor BODDY

L'ultime centre-ville ?

Nicolas BUCHOUD

Les professionnels qui font la ville : des aménageurs aux nouveaux urbanistes

Michel MICHEAU

Repenser la formation des urbanistes

Nathalie ROSEAU

Aménager la ville des flux

Les rouages de l'opinion

Luc FERRY

Opinion publique et idéologie

Jean-Louis BENOIT

Histoire d'une montée en puissance

Denis MUZET

Un citoyen « médioatico-sensible » dans une démocratie médiatique

Jean-Marie COTTERET

La tyrannie télévisuelle

Jean VOLFF

Un exemple de manipulation de l'opinion : l'affaire Allègre

Alain DUHAMEL

Les hommes politiques sont « accros » à l'opinion

François MIQUET-MARTY

Les sondages font-ils l'opinion?

Thierry VEDEL

Blogs politiques : vraie ou fausse révolution ?

Jean-Pierre BEAUDOIN

Peut-on gérer le « facteur opinion » ?

Ludovic FRANCOIS

Faire face à la déstabilisation de l'entreprise

Emmanuel LEMIEUX

Le nouveau jeu de mikado de l'influence intellectuelle

Alain BLANC

Règne de l'opinion ou règne sur l'opinion ?

Nicolas BUCHOUD

est urbaniste qualifié et directeur de cabinet adjoint, délégué au développement, à Clichy-la-Garenne. Il est membre du conseil d'administration de l'Office professionnel de qualification des urbanistes et créateur de la société Renaissance Urbaine.

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Les professionnels qui font la ville : des aménageurs aux nouveaux urbanistes

Encore trop souvent absents en France des opérations d’aménagement urbain, les urbanistes devraient tirer profit des changements dans les modes
de production de la ville pour affirmer leur mission d’ensemblier et assumer ainsi un rôle qu’ils ont souvent chez nos voisins.

Les dynamiques du développement urbain, en Ile-de-France comme dans les aires urbaines importantes de notre pays, sont marquées par des mutations profondes du paysage juridique, du jeu des acteurs de l’aménagement et de l’habitat : ouverture à la concurrence dans les opérations d’urbanisme1, multiplication des sources de financements et des PPP (partenariats public/privé), préoccupations environnementales, concertation...

Avec le recul normatif de l’état, les incertitudes réglementaires sont nombreuses. Mais à l’insécurité juridique croissante répond la constitution de passerelles nouvelles entre acteurs publics et privés, par exemple à travers les opérations de rénovation urbaine. Paradoxalement, ce sont d’ailleurs dans les territoires en difficultés (grands ensembles, friches industrielles, périphéries de villes moyennes) que s’expérimentent les propositions les plus audacieuses. Ainsi en Grande-Bretagne, de nombreuses voix s’élèvent au sein de groupes de promotion privés, pour souligner le caractère très fructueux des opérations de rénovation urbaine, tant en termes professionnels qu’en termes financiers. Les retours sur investissement y sont souvent excellents.

De multiples transformations traversent le monde composite des acteurs de l’aménagement urbain. Depuis les années 60, chaque époque a été marquée par une génération d’acteurs de la ville. Nous avons connu la génération des architectes, puis celle des bâtisseurs et des constructeurs dans les années 60 et 70. Les acteurs du développement social et urbain ont accaparé le devant de la scène, avant les gestionnaires de projet dans les années 90. Aujourd’hui, ce sont à la fois les architectes-stars et les « manageurs » qui semblent tenir le devant de la scène, au croisement de l’aménagement urbain et de l’ingénierie de la construction, de l’économie foncière et de la promotion immobilière, de la gestion du risque juridique et des enjeux de gouvernance. Cette évolution reflèterait, d’une part, le besoin d’image et de distinction des villes à travers des signes architecturaux bien visibles. Et, d’autre part, elle marquerait l’installation de la notion de projet au cœur des politiques d’aménagement urbain, en même temps que la nécessité pour leurs acteurs d’intégrer des variables très différentes.

En France, une situation contrastée

Le cadre français apparaît toutefois contrasté et ces mutations y demeurent partielles. Ainsi la politique de rénovation reste-t-elle encore largement publique et subventionnée. Elle peine à répondre à la crise urbaine et sociale qui s’exprime dans de nombreuses villes. Dans le même temps, bien que le secteur de la construction ou de la promotion immobilière soit très actif, nous sommes collectivement en panne quand il s’agit de proposer des modèles urbains attractifs. Cette faiblesse conceptuelle rejaillit inévitablement dans le champ opérationnel du côté des opérateurs, et au niveau des collectivités locales, sur fond de faiblesse des réseaux professionnels d’urbanistes et de déficits récurrents en matière de formation.

Les professionnels de l’aménagement urbain sont nombreux et les spécialités de plus en plus diversifiées, comme l’illustre par exemple la variété des formations proposées par l’AESOP, réseau européen des universités et établissement supérieurs de formation aux métiers de la ville. Mais cette variété se développe au détriment d’une vision d’ensemble et de capacités d’action coordonnées sur les environnements urbains.

On assiste pourtant depuis peu à un renouveau spectaculaire de la planification urbaine. Celle-ci intègre désormais de très nombreuses variables et constitue à n’en pas douter une réponse pertinente aux interrogations sur l’avenir des villes, tandis que s’estompent les limites anciennes entre urban design et urban planning 2. C’est du moins ce qui se passe à l’échelle européenne et dans d’autres régions du monde, mais pas en France, où comme l’a récemment souligné un observateur attentif, « malgré ses efforts de structuration, la profession (d’urbaniste) est encore en quête d’organisation et d’affirmation. Tout se passe autour de questions lourdes : qu’est-ce que c’est que l’urbanisme ? qu’est-ce qu’un urbaniste-aménageur, qu’est-ce que le cœur du métier 3 ? » L’aménagement urbain se fait encore très largement sans urbanistes, au détriment d’une vision durable du développement urbain 4.

L'affirmation de nouvelles visions urbaines

Or les villes d’aujourd’hui, au-delà de leur complexité physique et sociale, sont d’abord perçues à travers des images. Ces dernières véhiculent derrière les slogans ou les grands projets architecturaux visibles, une réelle complexité. De plus, le développement urbain contemporain ne se limite pas à celui des métropoles 5.

Avec le développement du fait urbain à une très grande échelle, le centre de gravité de la coopération internationale et du pouvoir se déplace vers des instances, encore peu connues du grand public, mais fort actives et influentes, comme Eurocities, Cities Alliance ou Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), ou bien encore l’Association internationale de développement urbain (INTA). On a également vu, lors du Congrès urbain mondial qui s’est tenu à l’été 2006 à Vancouver, parallèlement au IIIe Forum urbain mondial, l’affirmation d’une prise de conscience et de parole des réseaux professionnels d’urbanistes dans les conférences internationales, au point que l’on a pu parler à ce propos de congrès de « l’urbanisme offensif 6».

Mais comment expliquer le manque de visibilité de la France en matière d’aménagement urbain sur le plan international, ainsi que les difficultés que nous traversons pour déterminer des outils et des politiques d’aménagement fédérateurs ?

On doit beaucoup aux travaux de recherche issus de la Mission d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles. Ils ont mis en avant pour la première fois le rôle structurant de la notion de génération dans la constitution des milieux professionnels de l’urbanisme, de l’aménagement… et de la construction des villes. Ce phénomène, à la fois social, historique et démographique, constitue un puissant facteur d’explication dans la gestation des grandes politiques publiques en mutation comme la politique de la ville, et dans la définition des politiques d’aménagement.

Pour inventer les leviers des politiques d’aménagement et de planification urbaine qui répondent aux besoins de cohésion sociale mais aussi de compétitivité des espaces urbains métropolitains, il est probablement nécessaire de changer de regard et de faire intervenir de nouvelles générations professionnelles, en cohérence avec les demandes sociales.

L’héritage de réseaux professionnels structurés à la fin des années 60 et au début des années 70, en matière d’habitat, d’aménagement et de politique de la ville, a durablement contribué à façonner l’appréciation collective des problèmes des quartiers dans les politiques publiques. Sans que ce cadre évolue avec la demande sociale et les transformations socio-économiques et culturelles de ses habitants.

Le profil des nouveaux urbanistes

Devant l’émergence de nouveaux modes de production de la ville, et le recours croissant aux financements privés dans les opérations d’aménagement, il convient de proposer une nouvelle lecture des besoins en matière d’aménagement et de retrouver le socle d’un urbanisme adapté à un monde de villes. Quel sera le profil des urbanistes de demain ? Quel sera leur contexte d’exercice ?

À l’heure de la globalisation de l’économie et de la métropolisation des territoires, les villes développent des stratégies de marketing urbain pour attirer les investisseurs et certaines catégories de population. Toutefois, le mimétisme des stratégies mises en œuvre conduit à une forme de standardisation des événements organisés, des projets urbains réalisés ou bien encore des langages architecturaux déployés7. Il s’agit de mieux comprendre le contexte urbain dans lequel s’inscrivent ces grandes évolutions, de décrire les grands traits des stratégies de marketing urbain mises en œuvre, mais aussi leurs limites, tant qu’elles n’intégreront pas en leur sein une véritable réflexion d’urbaniste.

Les politiques de planification urbaine sont de plus en plus fortement « impactées » par la forme et les dynamiques de l’économie globale, qui suscitent aussi une forte convergence des cultures professionnelles. Les pratiques en matière d’aménagement et d’urbanisme ne peuvent plus seulement être lues et conçues en référence à un cadre national. Sous l’effet de la mondialisation, du développement des réseaux et de l’émergence d’une société mondiale de l’information, les croisements entre les expériences des différents pays sont chaque jour plus nombreux et les emprunts à d’autres pratiques plus indispensables.

Pour certains observateurs, on assiste à une forme d’homogénéisation des enjeux et des pratiques. Pour d’autres, au contraire, à la naissance de nouvelles pratiques et de nouvelles possibilités d’action, par hybridation. Ce qui est certain, c’est que les urbanistes sont désormais aux prises avec une échelle d’action locale, qui ne peut plus être conçue sans référence aux conséquences globales que cela peut avoir. Les enjeux liés à l’environnement et au développement durable sont donc partie intégrante dans les politiques d’aménagement et de développement économique, et la pratique de l’urbanisme se présente dorénavant comme un exercice particulièrement complexe 8.

En matière de formation, cela implique de toutes nouvelles exigences pour les universités. La multiplication des programmes d’échanges n’est plus seulement un atout supplémentaire, mais une nécessité, qui ouvre la voie à une globalisation des études et des formations en matière d’urbanisme. C’est probablement le début d’une redéfinition profonde dans la manière même de bâtir, à l’échelle nationale, les politiques urbaines, et de concevoir les villes 9.

  1. Voir notamment le rapport Les Sem en 2015, remis à l’occasion du dernier congrès des SEM (Strasbourg, octobre 2006)
  2. Voir notamment, Making Planning Work (www.globalplannersnetwork.org), et Urban Planning Now : what works, what doesn’t work. Harvard Design Review. Summer-fall 2005.
  3. Bernard Pouyet, à propos des conclusions du rapport coécrit avec J. Frébault (CGPC) sur la formation à l’urbanisme en France, lors des 10° Universités d’été des urbanistes (Montpellier, août 2005)
  4. Voir Nicolas Buchoud, « 1976-2006. étranges absences françaises » in Revue Urbanisme, sept-oct. 2006, à propos du dernier Forum mondial Habitat III qui s’est déroulé à Vancouver au mois de juin 2006.
  5. Voir notamment Jacques Véron, L’urbanisation du monde, La Découverte, collection Repères, 120 p, paru en 2006.
  6. Marcel Belliot, « Un congrès mondial de l’urbanisme offensif » in Revue Urbanisme, sept-oct. 2006, à propos du dernier Forum mondial Habitat III.
  7. Voir par exemple les travaux de Nicolas Douay et Marie Odile Trépanier (université de Montréal) sur les comparaisons entre les dynamiques de développement des agglomérations de Marseille et de Montréal
  8. Voir l’intitulé du dernier Forum urbain mondial : Créer des villes durables. Passer de l’idée à l’action.
  9. C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrit le programme européen Skills for the Future, issu du processus de Bristol (2005), et qui met au cœur des politiques urbaines la notion de cohésion sociale (« sustainable communities »).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-2/les-professionnels-qui-font-la-ville-des-amenageurs-aux-nouveaux-urbanistes.html?item_id=2769
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