Sommaire N°16

Février 2007

Georges RIGAUD

Avant-propos

Les rouages de l'opinion

Luc FERRY

Opinion publique et idéologie

Jean-Louis BENOIT

Histoire d'une montée en puissance

Denis MUZET

Un citoyen « médioatico-sensible » dans une démocratie médiatique

Jean-Marie COTTERET

La tyrannie télévisuelle

Jean VOLFF

Un exemple de manipulation de l'opinion : l'affaire Allègre

Alain DUHAMEL

Les hommes politiques sont « accros » à l'opinion

François MIQUET-MARTY

Les sondages font-ils l'opinion?

Thierry VEDEL

Blogs politiques : vraie ou fausse révolution ?

Jean-Pierre BEAUDOIN

Peut-on gérer le « facteur opinion » ?

Ludovic FRANCOIS

Faire face à la déstabilisation de l'entreprise

Emmanuel LEMIEUX

Le nouveau jeu de mikado de l'influence intellectuelle

Alain BLANC

Règne de l'opinion ou règne sur l'opinion ?

Les nouvelles politiques urbaines

Eduardo LOPEZ MORENO

Faire face à une urbanisation galopante et chaotique

Denise PUMAIN

Des villes européennes solidaires

François ASCHER

Les défis urbains de l'Europe : un point de vue français

Cliff HAGUE

Les défis urbains de l'Europe : un point de vue anglo-saxon

Bruno FORTIER

La ville s'est envolée

Thierry JOUSSE

Des villes, des films et des fantomes

Thierry PAQUOT

En route vers l'éco-urbanisme ?

Jean-Michel ROUX

L'aménagement urbain contre la fracture sociale

David TELLER

Un programme pour améliorer la coopération entre les villes

Trevor BODDY

L'ultime centre-ville ?

Nicolas BUCHOUD

Les professionnels qui font la ville : des aménageurs aux nouveaux urbanistes

Michel MICHEAU

Repenser la formation des urbanistes

Nathalie ROSEAU

Aménager la ville des flux

Alain DUHAMEL

est journaliste et éditorialiste.

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Les hommes politiques sont « accros » à l'opinion

Dans l’interview qu’il a accordée à Constructif, Alain Duhamel explique comment les hommes politiques sont devenus progressivement, depuis 1968, victimes d’une « addiction » aux sondages, dont l’ampleur varie toutefois en fonction des tempéraments….

Vous qui vous décrivez comme un « vétéran de l’observation politique », pouvez-vous nous dire quand les hommes politiques ont-ils commencé à se préoccuper de l’opinion ?

Alain Duhamel - En 1968, l’ensemble du monde politique a été très pris de court et désarçonné par ce qui s’est passé. Il y avait eu des signes annonciateurs, mais personne ne les avait interprétés correctement. Les hommes politiques ont compris qu’il existait des faits dans la société qu’ils ne mesuraient pas bien et ont commencé à prendre en compte l’opinion publique.
Je me souviens d’une anecdote significative : je collaborais alors au Monde et connaissais bien les sondages : fin mai 1968, j’ai reçu un sondage de l’Ifop montrant que l’opinion publique n’était plus favorable au mouvement protestataire qu’elle avait jusqu’alors plutôt soutenu. Le renversement était brutal. Avec l’accord d’Hubert Beuve-Méry, j’ai rédigé un article qui a contribué à alerter les responsables du moment qui ont pu mesurer à quel point la bascule de l’opinion pouvait être importante. La manifestation du 30 mai a confirmé cela. Ensuite, les politiques sont devenus peu à peu victimes d’une addiction aux sondages…

Cette addiction vous semble-t-elle une « maladie » très partagée ?

Oui, tous les hommes politiques sont « accros » aux sondages, mais tous n’y sont pas subordonnés. Raymond Barre, quand il était Premier ministre, s’intéressait aux sondages, mais il prenait éventuellement une voie très différente de celle qu’ils auraient pu lui inspirer. à l’inverse, entre le moment où Ségolène Royal a eu connaissance du sondage du Cevipof, et son lancement de l’idée des jurys populaires, il ne s’est passé que trois jours…
En un mot, si aucun personnage politique ne néglige les sondages, pour certains, c’est presque l’évangile, tandis que pour d’autres, il s’agit d’instruments parmi d’autres. En pratique, ils connaissent en général mal les sondages. Ceux qui en font le meilleur usage sont ceux qui ont des spécialistes à leurs côtés ou lancent des sondages qui leur sont propres. Actuellement, c’est le cas de l’UMP par exemple, qui a des petits groupes d’enquête. C’est un avantage. Cela aide Nicolas Sarkozy dans certaines prises de décisions. L’Elysée, le PS, eux aussi utilisent la méthode.

Et les autres personnalités politiques, actuelles ou anciennes ?

Dominique de Villepin est intéressé par les sondages, mais n’en est pas complètement dépendant. Jacques Chirac est également intéressé, mais sceptique : en politique étrangère, il est persuadé que les sondages « suivront » sa décision…
En fait, dans toutes les familles politiques, il y a depuis longtemps une personnalité qui connaît mieux les sondages que les autres : Alain Peyrefitte chez les gaullistes ou Michel d’Ornano chez les giscardiens, par exemple. Michel Poniatowski y recourait à la marge, Charles Pasqua était un grand spécialiste de leur utilisation, ce qui lui a permis, au départ, certaines manipulations… Chez les Socialistes, Ségolène Royal connaît vraiment bien les sondages voici 25 ans, quand elle était à l’Elysée, elle bénéficiait des conseils de Charles Salzmann sur ces questions. François Hollande est plutôt utilisateur des sondages. Quant à Jack Lang, dès qu’un sondage est favorable, il envoie un e-mail à toute la presse avec son commentaire !

La sensibilité aux sondages varie-t-elle suivant les appartenances politiques ?

À gauche, les socialistes restent accrochés à leurs idées sur certains thèmes, indépendamment de l’opinion. à droite, les gaullistes ont leurs idées si elles font partie de leurs « vaches sacrées », il leur faut les respecter. Dans les extrêmes, par principe, l’idéologie est plus forte que la connaissance de l’opinion.
En ce qui concerne les hommes, de Gaulle ne tenait pas compte de l’opinion Pompidou, plus Giscard, énormément Mitterrand moins que Giscard Chirac, je l’ai dit, est sceptique même si sa fille et conseillère est « accro » aux petits groupes. Le tempérament fait la différence.

Les hommes politiques ont d’autres moyens que les sondages pour appréhender l’opinion…

Ils ont effectivement ce que l’on peut appeler leurs « capteurs personnels ».
En général, il s’agit d’une demi-douzaine de journalistes qu’ils connaissent mieux que les autres, souvent appartenant à la presse régionale et, plus important encore, de militants qu’ils rencontrent pendant le week-end dans leur circonscription. Cela représente une cinquantaine de personnes, plus motivées ou plus impliquées que d’autres, dont ils « prennent le pouls » chaque fin de semaine. L’approche est empirique, ni scientifique ni forcément juste.

Il y a des hommes politiques qui ont été « battus » pas l’opinion…

Chirac a connu sur l’Europe un gros échec face à un phénomène d’opinion qui avait été mal anticipé. Mais beaucoup de chefs de gouvernement ont été obligés de reculer face à l’opinion. Il y a des sujets sur lesquels elle s’embrase facilement : l’éducation par exemple – souvenez-vous du recul de Mitterrand -, ou certains faits divers, comme le procès d’Outreau ou l’affaire Malek Oussekine. Dans ces deux cas, le gouvernement a dû tenir compte de l’émoi de l’opinion.

L’opinion est-elle un bon guide pour l’action politique ?

C’est une aide à la décision, mais je pense que les hommes politiques gouvernent trop avec l’opinion, certains vont même jusqu’à se prosterner devant elle. Je suis très hostile à la démocratie d’opinion qui resurgit depuis avril 2002. Aujourd’hui, la politique est de plus en plus difficile et les marges des gouvernements sont plus étroites qu’avant pour de multiples raisons : la mondialisation, la construction européenne, le développement des régions… il faut que les dirigeants puissent assumer leurs convictions et mettre en œuvre leurs programmes une fois qu’ils sont élus. Or, si les dirigeants se sentent obligés de consulter l’opinion thème par thème, ils sont rapidement dirigés par elle !
C’est une grande tentation, encouragée par le rôle de la télévision et son approche instantanée, émotive et irrationnelle de l’information. Face à une telle pression, les hommes politiques n’ont pas vraiment imaginé de réponses et n’ont pas beaucoup de contre-mesures pour se défendre. Pourtant, il faudrait créer un courant des dirigeants vers les citoyens, ce qui passe par l’expression politique fréquente et directe, et par la pédagogie.
Quand il y a pression ou émotion de l’opinion publique, par exemple, le président de la République devrait s’adresser aux citoyens toutes les semaines. Regardez les états-Unis : le président américain s’exprime tous les samedis matins à la radio et il n’est pas rare qu’il le fasse également deux ou trois fois dans la semaine à la télévision...

Les hommes politiques multiplient aujourd’hui les blogs…

Je vous rappelle que tous n’en ont pas pour autant : le président de la République et le Premier ministre n’en ont pas, François Hollande, Valéry Giscard d’Estaing et édouard Balladur non plus. Mais le blog constitue effectivement une des premières tentatives des hommes politiques pour contrecarrer la démocratie d’opinion. C’est une première piste de réponse.

Quel est le rôle des médias dans le développement de la démocratie d’opinion ?

Les médias, notamment la télévision, ont un rôle considérable d’accélération de ce phénomène du fait de la prééminence de l’image sur le commentaire. Les sujets sont traités de façon plus spectaculaire et émotive que réfléchie et critique, particulièrement quand il s’agit de faits divers. La télévision devrait donc essayer de combiner actualité, nouveauté et scoop, d’une part, et commentaire, analyse et réflexion, d’autre part. Il s’agit de donner aux téléspectateurs des instruments d’analyse critique de ce qu’ils voient. Il me semble que la BBC fait cela assez bien…

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-2/les-hommes-politiques-sont-«-accros-»-a-l-opinion.html?item_id=2758
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