Revoir la notation des élèves
Pour améliorer le système scolaire, il faut revoir le système d’évaluation. Aujourd’hui, la note informe l’enfant et ses parents. Elle récompense ou sanctionne. Surtout, elle classe et elle fige. La passion pour la notation numérique, centrée sur la moyenne, nourrit trop d’effets pervers. Il importe d’innover en distinguant les fonctions de communication et de classement.
Des performances éducatives en baisse
Disons-le d’emblée, les performances du système scolaire français ne sont pas bonnes. Longtemps autocentrée et fonctionnant selon sa logique propre, comme beaucoup d’institutions publiques, l’Éducation nationale est mise au défi par une étude de l’OCDE. Autrefois spécialisée dans les questions macroéconomiques et financières, l’organisation développe depuis 1997 une évaluation comparée des systèmes scolaires de 81 pays à l’aide d’une méthodologie commune et acceptée par tous, le programme PISA. Et les résultats de l’édition 2022, présentés en décembre 2023, font mal, car les scores obtenus par les élèves de 15 ans ayant participé à l’enquête sont catastrophiques. Par rapport à la précédente enquête, réalisée en 2018, les élèves français perdent 21 points en mathématiques et 19 en compréhension de l’écrit. Et seuls 7 % des élèves atteignent le niveau 5 ou 6 de difficulté en mathématiques.
Pour évaluer ce niveau, les élèves doivent réagir au titre d’un article de journal au sujet d’une équipe de basket-ball. L’article indique que l’équipe a gagné chaque match cette saison, et qu’elle a en moyenne gagné de 19 points. Question posée aux élèves : est-il possible que l’équipe n’ait jamais gagné un match avec 19 points d’écart ? Il s’agit de demander aux élèves d’évaluer une conjecture en fonction de leur compréhension de ce qu’est une moyenne. Ils doivent sélectionner « Oui » ou « Non » et fournir une explication. Le niveau 5 est atteint si l’élève dit simplement que « oui, c’est une différence moyenne » tandis qu’il est de 6 s’il précise que « dans une moyenne égale à 19, il n’est pas nécessaire d’avoir un point égal à 19 ». Bref, 93 % des élèves français ont échoué aux questions de ce type…
Certains essayent de se rassurer en se disant que la baisse du niveau est aussi constatée dans la plupart des autres pays et que, finalement, la France est « dans la moyenne de l’OCDE », comme cela a été beaucoup repris dans les médias, mais c’est un réflexe finalement presque pire que le mal initial. Chercher à se rassurer alors que les performances des jeunes Français sont inférieures à, par exemple, celles des Estoniens ou des Polonais en dit long sur l’affaiblissement général du pays. Il est évident que la place de la France dans le concert des nations repose sur son capital humain. Pas besoin d’une étude sophistiquée pour comprendre qui si nous n’avons ni pétrole ni idées, nous n’aurons plus grand-chose. Il est donc indispensable d’améliorer tout ce qui peut l’être dans le système éducatif pour redresser la barre.
Agir sur la notation et par la notation
Les chantiers sont évidemment nombreux : qualité des enseignants, temps scolaires, choix des programmes, effectifs et composition des classes, etc. Tous sont importants, mais nous avons ici choisi un angle habituellement moins regardé, le système de notation des élèves. En effet, pourquoi mettons-nous des notes aux élèves ? La place des notes, et du fameux bulletin, est tellement ancienne et sacralisée que la question peut sembler triviale et incongrue. La notation a presque la valeur d’une norme et évolue d’ailleurs fortement d’un pays à l’autre. Je me rappelle l’effarement de mes étudiants en Chine lorsque, les premières années auprès d’eux, j’attribuais à une « bonne copie » un 14, qui était en fait un 70, car, là-bas, la notation est sur 100. En Chine, si un élève a fait ce que son professeur attendait de lui, il obtient au moins 90, alors qu’en France, ce niveau de note indique (ou indiquait) une copie exceptionnelle. Plus généralement, nous mettons des notes aux élèves pour trois raisons : une bonne, quand c’est pour transmettre une information, une risquée, quand c’est pour récompenser un travail, et une à utiliser avec discernement, lorsqu’il s’agit de classer les élèves.
Commençons par la bonne raison. Les notes visent tout d’abord à transmettre une information aux élèves et à leurs parents. Elles leur disent si un savoir a été assimilé ou non sous une forme qui varie selon l’âge, allant du « petit bonhomme content » ou « pas content » des vignettes de maternelle à des systèmes plus élaborés. La plupart des élèves du secondaire disposent désormais d’un espace numérique de travail (ENT) où, en particulier, les notes (chiffrée) des élèves sont transmises. Des sociétés privées ont développé des applications qui peuvent venir en complément. Ainsi, plus de 8 000 établissements français ont choisi le logiciel Pronote, qui permet une saisie des notes et un calcul de la moyenne et du positionnement de l’élève. Toutes ces informations sont immédiatement consultables par l’élève et par ses parents. Mais toute cette technologie conduit à oublier une question fondamentale : quelle forme la notation doit-elle prendre ?
Une recherche très active en sciences de l’éducation s’interroge depuis des années sur les modes de notation les plus efficaces. L’objectif est d’informer du niveau sans frustrer l’enfant et, surtout, sans qu'il soit biaisé en défaveur des enfants dont l’environnement familial est moins propice à la réussite scolaire. Selon Joe Feldman, auteur du livre Grading for equity. What it is, why it matters, and how it can transform school and classrooms (2018), le système communément adopté est défavorable aux enfants qui débutent avec un léger retard scolaire à la rentrée, qui sont d’ailleurs souvent ceux qui proviennent de milieux plus défavorisés ou immigrés. Typiquement, en faisant la moyenne sur l’année de toutes les notes, le décalage initial persiste, même si l’enfant a réussi à rattraper son retard. Selon l’auteur, et bien d’autres, le système de notation numérique se prête particulièrement à l’habitude de la moyenne. Il faut, au contraire, privilégier des systèmes de notations binaires de type « acquis/en cours d’acquisition », finalement pas si éloignés des vignettes de maternelle. Mais ce n’est pas tout, il est crucial de convaincre l’enfant que la notation n’est pas un jugement définitif, persistant, et qu’il est possible d’atteindre la « meilleure note ». Pour cela, il faut systématiquement accompagner une notation de conseils et d’encouragements personnalisés pour progresser. Il faut montrer le chemin qui permet d’atteindre un objectif présenté comme réalisable.
La note informe
Les notes sont aussi le canal subtil de communication entre le système éducatif et les parents de l’élève. La communication des professeurs est permanente avec l’enfant mais elle est naturellement plus ténue avec sa famille, et ce d’autant plus que l’enfant avance en âge. Assez vite, il n’y a plus que les notes. Or, l’implication des parents dans l’apprentissage de leur enfant a un impact considérable. C’est intuitivement assez évident, et l’enquête PISA montre ainsi une corrélation assez claire entre l’implication des parents et les taux de réussite moyens aux tests mis en place. Or, en France, comme dans d’autres pays, cette implication a diminué. En 2022, 24 % des élèves étaient scolarisés dans des établissements dont le directeur a déclaré qu’au cours de l’année scolaire précédente, au moins la moitié des familles ont discuté des progrès de leur enfant avec un enseignant de leur propre initiative. En 2018, le chiffre correspondant était de 36 %. Lorsque c’était à l’initiative de l’enseignant, les chiffres étaient de 43 % en 2022 contre 62 % en 2018. Or, lorsque la communication se fait initialement par une transmission de notes chiffrées, la suite est laborieuse. Les parents veulent spontanément savoir pourquoi on a mis une mauvaise note à leur enfant et non ce qu’ils devraient faire pour aider leur enfant à atteindre des objectifs scolaires réalistes. Des initiatives de communication prise en dehors du cadre de la transmission des notes ont eu en effet de bien meilleurs succès. Un bon exemple est le dispositif, expérimenté initialement à l’académie de Créteil, de la « Mallette des parents », qui est en fait une série de trois rencontres entre l’administration du collège et les parents d’élèves de sixième ayant pour objet de présenter le fonctionnement de la scolarité, de ce qu’il faut faire pour que l’enfant réussisse. Le dispositif améliore l’implication, ce qui, par ricochet, a un effet mesurable sur l’absentéisme, la discipline et les résultats scolaires.
La note récompense
La seconde raison d’attribution des notes est risquée. Elles permettent aussi de récompenser un effort. Quiconque s’est retrouvé un jour devant des élèves sait que la promesse d’une bonne note est un puissant outil de motivation. On peut le regretter et rêver à un monde où les enfants seraient mus par une passion intrinsèque pour la connaissance et se mettraient spontanément à apprendre, mais dans la vraie vie ils ont souvent besoin d’une carotte pour avancer. La palette des possibles est, là encore, assez vaste, allant de l’inscription au tableau d’honneur d’autrefois aux félicitations du conseil de classe actuel. Elle fonctionne bien, mais comporte le risque de décourager ceux qui n’ont pas la bonne note. Beaucoup de progrès ont, là aussi, été faits pour ne plus stigmatiser ceux que l’on appelait les cancres et pour convaincre que réussir est à la portée de tous – y compris de ceux qui sont moins aidés chez eux – sans toutefois tomber dans le piège des « notes du bonheur », où tout le monde a la meilleure note, ce qui revient à supprimer l’outil. En Suède, ces notes dites « du bonheur » sont apparues pour des raisons bassement financières de concurrence, pour attirer le maximum d’élèves, entre des établissements financés par les communes au nombre d’élèves. Mais les bonnes notes génèrent aussi des effets d’accoutumance : une fois que l’on a commencé à les attribuer, il devient difficile de revenir en arrière. Et s’il n’y a plus de mauvaises notes, il n’y a plus de possibilité d’informer l’élève qu’il n’a pas acquis une notion du programme. Conjugués à une quasi-disparition du redoublement, les écarts réels de niveau scolaire entre les enfants vont alors croissant.
La note classe
La troisième raison d’être des notes est le classement des élèves. Selon Pierre Merle, cette fonction est héritée des collèges jésuites, fondés au XVIe siècle, dont la pédagogie reposait sur l’émulation et la concurrence entre les futurs soldats de Dieu. Les élèves ne sont pas notés mais classés en trois groupes, les promus dans la classe supérieure, les incertains et les inaptes, dont on ne veut plus dans le collège. À la fin du XVIIe siècle, les écoles chrétiennes de Jean-Baptiste de La Salle procéderont différemment, sans classement ni rivalité. Les élèves suivent un parcours d’acquisition de compétences, et l’évaluation permet de passer d’un niveau à l’autre dès que la maîtrise est constatée. La fermeture des collèges jésuites, en 1763, n’a pas empêché leur pratique de perdurer. Et c’est par les concours d’entrée à l’École de la marine, dès la fin du XVIIIe siècle, puis dans les écoles d’ingénieurs que le système va s’institutionnaliser, notamment pour éliminer des sources de contestation. L’École polytechnique adopte ainsi une notation sur vingt dès 1808. Ce système de notation par le classement a dès lors été appliqué à partir de 1821 à l’enseignement secondaire, alors sélectif, et, formellement, par arrêté ministériel, depuis 1890. À l’inverse, l’enseignement primaire a suivi un modèle plus proche de celui des écoles chrétiennes.
Envisager deux systèmes de notation
Malgré les fréquentes dénégations et diverses réformes, les collèges et les lycées ne sont pas sortis de cette logique. La fameuse notation sur vingt perdure, avec en prime la mention sur chaque bulletin de la moyenne de la classe, renforçant la dimension classement de la notation. Cette logique est problématique car les notes attribuées sont déterminantes dans l’orientation vers le lycée pour les troisièmes et le supérieur pour les terminales. Les procédures d’affectation Affelnet et Parcoursup utilisent les notes que les élèves ont obtenues au cours de l’année précédente et les transforment en points qui permettent de classer les élèves et d’obtenir un ordre de priorité pour l’affectation dans les lycées publics et, ensuite, dans les établissements d’enseignement supérieur. Les « mauvaises notes » obtenues au cours de l’année ne jouent alors plus leur rôle pédagogique d’identification des difficultés et d’encouragement à mieux faire. Elles deviennent une sanction en matière d’avenir scolaire. En outre, elles placent les professeurs dans la position simultanée et inconfortable de transmetteurs de savoirs et de juges de l’orientation future de leurs élèves. La « pression sur les notes » peut avoir des effets délétères sur les élèves et, finalement, réduire considérablement leur désir d’apprendre.
Il serait plus simple et plus sain de séparer les deux fonctions des notes. Privilégions, en classe, les systèmes de notation inclusifs, qui informent et motivent les élèves. Il est crucial que les notes n’aient pas d’effet pérenne sur le devenir scolaire et qu’elles deviennent une appréciation à un moment donné de l’acquisition ou non d’un savoir. Dans ce contexte, la notation sur vingt est obsolète. Il est cependant nécessaire, à certaines étapes du parcours scolaire, de pouvoir classer les élèves, notamment pour les orienter. Il est alors important de recréer des systèmes d’examens externes et homogènes entre les candidats. En particulier, à cette occasion, l’évaluateur des connaissances ne doit pas être celui qui les a transmises.
Nous avions pour cela les outils appropriés : le brevet en fin de collège, et le baccalauréat en fin de lycée. Il serait opportun de les ressusciter et de leur donner le rôle qu’ils méritent. Dans ce cadre, des notes sur vingt, des moyennes et des classements sont appropriés. Utiliser deux systèmes de notation permettrait de mieux distinguer les deux fonctions des notes. Cette piste d’amélioration d’un système éducatif qui en a bien besoin serait très bénéfique aux élèves et à leurs professeurs.
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