Renforcer, par la formation, l’attractivité du métier d’enseignant
Les métiers de l’enseignement pâtissent d’une attractivité en berne, comme en témoignent les difficultés de recrutement. S’il est aujourd’hui prononcé, le phénomène n’est pas neuf. Afin d’y remédier, les leviers de la rémunération et des conditions de travail comptent. Nombre de politiques se déploient singulièrement du côté de la formation, avec des formats et des résultats qui se discutent.
Voilà plusieurs décennies que la France est concernée, comme d’autres pays, par d’importants problèmes de recrutement de personnels dans l’enseignement. Cette « crise » est présentée, depuis les années 2010, comme relative à l’attractivité de ce secteur d’emploi. Parmi les solutions pour, peut-être, y remédier figurent des réformes de la formation et la mise en place de dispositifs d’enrôlement précoce des étudiants vers les métiers de l’enseignement, sur lesquels se penche plus particulièrement cet article.
Objectiver la crise de recrutement
En France, depuis le milieu des années 1990, les concours de la fonction publique n’attirent plus autant de candidats. Les diplômés se dirigent davantage vers le secteur privé. En outre, depuis le début des années 2000, la diminution du nombre de candidatures est plus forte pour les enseignants que pour les autres fonctionnaires de catégorie A.
Dans le premier degré (écoles maternelles et élémentaires), les années 2000 ont été marquées par une baisse des candidatures, variables selon les académies. Puis la période 2011-2020 a connu une augmentation du nombre d’inscrits sans que cela permette de retrouver le nombre de candidatures des années 1990 1. Dans le second degré (collèges et lycées), la baisse des candidatures, variable selon les disciplines, apparaît plus continue : les années 2000 ont été marquées par une baisse, suivie d’une remontée de 2013 à 2017, puis une nouvelle baisse de 2017 à 2020, repérable pour les différents concours du second degré, qu’il s’agisse du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) ou de l’agrégation.
Dans ce contexte déclinant, la situation actuelle est marquée par un infléchissement encore plus prononcé, en partie expliqué par les réformes successives de la formation des enseignants. Ainsi, à la rentrée 2022, dans les deux degrés, 4 000 postes n’ont pas été pourvus (soit 20 %, contre 5 % en 2021), et plus de 3 100 postes en 2023 (15 %). Le nombre de postes vacants à la rentrée 2024 devrait, à nouveau, être élevé 2 .
D’un point de vue quantitatif, la situation n’est pas inédite. Ainsi, si 1 800 postes sont vacants à la rentrée 2023 dans le secondaire, il y en avait 9 600 en 19643. Toutefois, chaque période est marquée par des contextes spécifiques. La crise de recrutement contemporaine se caractérise par le fait qu’elle intervient dans un contexte de transformation lente mais profonde des métiers de l’enseignement, dans le sens d’une plus grande responsabilisation des agents et de l’importation dans l’école d’une logique d’évaluation et de contractualisation issue du secteur privé. Parallèlement, les salaires enseignants ne supportent pas la comparaison avec ceux d’autres actifs diplômés de niveau bac + 5. De plus, les missions confiées à l’école englobent des demandes éducatives complexes, et les publics scolaires se diversifient au nom des principes d’inclusion et d’accessibilité. Plus largement, le défi de l’attractivité des métiers de l’enseignement se pose à l’échelle internationale, avec, parmi les facteurs explicatifs, des constantes (reconnaissance du métier, conditions de travail, qualité de la formation) ainsi que des spécificités géographiques, sociales et historiques4.
L’attractivité des métiers de l’enseignement : de quoi parle-t-on ?
Esquisse d’une généalogie du mot
Le mot « attractivité » est aujourd’hui omniprésent dans la sphère politique, économique et médiatique. Son occurrence dans les articles du journal Le Monde a été multipliée par trente en quelques décennies, passant de 15 apparitions pour toute l’année 1990 à 426 en 2022, l’augmentation étant régulière depuis le début des années 2000.5
Le mot est en revanche utilisé avec une grande prudence par les chercheurs en sociologie ou en sciences de l’éducation qui s’intéressent aux enseignants. Sa signification est fuyante et dérive, étymologiquement, du verbe « attirer ». Sa signification est également marquée par sa proximité avec l’anglais attractivity qui peut facilement être confondu avec attractiveness, ayant un sens différent.
Dans le milieu professionnel, l’attractivité est souvent associée à des facteurs tels que les conditions de travail, les perspectives de carrière, les salaires, ainsi que d’autres éléments liés à la qualité de vie professionnelle. Toutefois, les usages sociaux du terme ne sont pas aléatoirement répartis : celui-ci n’est pas utilisé par les enseignants, qui, pour parler de leur métier, mobilisent plus volontiers le terme de vocation6. Attractivité relève du vocabulaire managérial, avec lequel les enseignants entretiennent une grande distance.
L’emploi du mot dans l’enseignement met ainsi l’accent sur la capacité du secteur éducatif : (i) à attirer, si possible, des personnes qualifiées, afin de faire face tant à la pénurie de candidats qu’aux objectifs de performance, et (ii) à retenir les enseignants en poste, quand les démissions, quoique peu nombreuses, sont en hausse significative.
L’attractivité comme objet de solutions politiques
L’attractivité n’a pas toujours été considérée comme un problème politique : jusqu’en 2012, les responsables politiques ont même évité de parler d’attractivité lors des problèmes de recrutement, présentés comme un désajustement entre offre et demande. Ce n’est qu’à partir du retour de la gauche au pouvoir, en 2012, que l’attractivité du métier d’enseignant a été posée comme problème politique, lorsque l’ouverture de 60 000 postes a rendu patent le manque de candidatures. Le problème d’attractivité a alors été « couplé » avec certaines solutions. Parmi celles-ci, on peut citer la contractualisation de l’emploi enseignant à partir de 2017 7.
D’autres solutions visent les rémunérations, essentiellement sous forme de primes liées au moment de la carrière, au lieu d’exercice ou aux tâches effectuées. D’autres mesures ciblent la formation. Depuis les années 1950, plusieurs dispositifs ont été déployés dans les universités pour attirer des candidats et servir d’antichambre au professorat, de sorte que les réformes de la formation jouent un rôle central parmi les politiques visant à améliorer l’attractivité des métiers de l’enseignement. Dans ce cadre, nous identifions que la tendance dominante, sur le long terme, consiste en l’affirmation d’une logique dite de « préprofessionnalisation » au détriment d’une logique dite de « prérecrutement ».
Focus sur la formation comme levier d’attractivité
Recruter tôt : le modèle des IPES
De toutes les initiatives visant à susciter l’intérêt des étudiants pour les métiers de l’enseignement, les instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES) occupent une place à part dans les mémoires. Au coeur des Trente Glorieuses, les IPES ont été instaurés dans un contexte de forte pénurie d’enseignants.
Les IPES, créés par un décret du 27 février 1957 au sein des facultés des sciences et des lettres, avaient pour objectif d’attirer un maximum d’étudiants vers l’enseignement secondaire. Ces instituts recrutaient les étudiants sur concours, à partir des notes obtenues aux examens de fin de première année d’études supérieures, ou sur titres, pour les admissibles aux écoles normales supérieures. Ces étudiants, appelés « ipésiens » ou « élèves-professeurs », bénéficiaient ensuite d’un statut de fonctionnaire stagiaire et d’un salaire attractif 8, sous réserve d’un engagement décennal dans le secteur public.
La mission des IPES est alors d’aider à l’obtention d’une des licences acceptées pour s’inscrire aux concours du professorat. Ces instituts ne dispensent pas de formation pédagogique, celle-ci devant être assurée dans un centre pédagogique régional au moment de l’obtention du CAPES. L’accent est mis sur le soutien financier des élèves-professeurs, catégorie étudiante issue de milieux sociaux moins favorisés que la moyenne.
Au cours des vingt années d’existence des IPES, jusqu’à leur extinction, en 1981, 70 000 élèves-professeurs ont été prérecrutés. Grâce à la garantie d’un salaire pendant trois ans, de nombreux étudiants issus de milieux modestes, au potentiel scolaire avéré, ont pu poursuivre leurs études et devenir enseignants. Les IPES ont, en ce sens, joué un rôle de promotion sociale. Ils ont aussi permis à des instituteurs de s’orienter vers le CAPES ou l’agrégation afin de devenir professeurs certifiés ou agrégés.
La multiplication des dispositifs dits de « préprofessionnalisation »
Durant les années 1980, de nouveau, les candidatures manquent, cette fois dans le premier degré. Dans ce contexte, le rapprochement du statut des instituteurs avec celui des professeurs certifiés du second degré gagne du terrain. De même se multiplient des réflexions sur les manières d’articuler les savoirs académiques disciplinaires avec les savoir-faire pédagogiques professionnels.
Une circulaire du 14 février 1985 amorce un changement de paradigme, par la mise en place de la première année de « préprofessionnalisation » aux métiers de l’enseignement. Celle-ci repose sur trois piliers : un stage de sensibilisation au milieu scolaire dès la première année universitaire ; un stage en situation éducative pendant la deuxième année ; des modules de formation abordant divers contenus tels que la psychologie de l’enfant, la connaissance des systèmes éducatifs, éventuellement des contenus de rééquilibrage disciplinaire.
Plus récemment, la préprofessionnalisation a été couplée à des formes de rémunération précoces, sans que celles-ci actent des prérecrutements dans la fonction publique. Ainsi, le dispositif « emplois d’avenir professeur » (EAP1) cible, de 2013 à 2015, les boursiers souhaitant devenir enseignants, en leur proposant une bourse de service public en plus de la bourse sur critères sociaux ainsi qu’un contrat à durée déterminée de 12 heures par semaine dans un établissement scolaire, pour un revenu mensuel moyen de 900 euros.
En 2015, le dispositif EAP1 est remplacé par le dispositif « étudiants apprentis professeurs » (EAP2). Ce dispositif, non cumulable avec une bourse, en vigueur jusqu’en 2019, propose une formation rémunérée en alternance par contrat d’apprentissage, jusqu’à 80 % du SMIC.
Depuis 2019, un dispositif dit « AED prépro » fonctionne via le statut d’assistant d’éducation, de la deuxième année de licence jusqu’au passage du concours du professorat, en deuxième année de master, « pour améliorer l’attractivité du métier de professeur et faire émerger un nouveau vivier de candidats […]. Le dispositif cible particulièrement les étudiants boursiers, l’objectif étant notamment d’attirer et de sécuriser les étudiants financièrement défavorisés ». En octroyant un salaire atteignant 1 000 euros pour 6 à 8 heures en établissement scolaire, en autorisant le cumul avec une bourse étudiante sur critères sociaux, tout en permettant une montée progressive en compétences pour devenir enseignant, ce dispositif combine incitation financière et préprofessionnalisation.
Si le dispositif « AED prépro » ne prérecrute pas comme le faisaient les IPES, il sélectionne les candidats de façon précoce et s’inscrit dans la lignée des programmes précédents. Sa disparition annoncée pour la rentrée 2024 s’effectuera au prix de l’entrée en vigueur d’une nouvelle réforme de la formation des enseignants. À cet égard, la succession des dispositifs de préprofessionnalisation, dans des temporalités très courtes qui limitent fortement les effets des mesures mises en oeuvre, suscite des interrogations quant à la cohérence entre les discours relatifs à l’attractivité des métiers de l’enseignement et leur capacité réformatrice réelle.
- Frédéric Charles, Marlaine Cacouault et al., « La perte d’attractivité du professorat des écoles en France au début du XXIe siècle. Quelques indicateurs pour objectiver et interpréter une crise structurelle », in Géraldine Farges et Loïc Szerdahelyi (dir.), En quête d’enseignants. Regards croisés sur l’attractivité d’un métier, Rennes, PUR, 2024.
- Erwin Canard, « Concours enseignants 2024 : le nombre d’inscrits à l’externe diminue par rapport à 2023 », Dépêche AEF, 26 janvier 2024.
- Pour l’année 1964, le chiffre provient de l’ouvrage de Jean-Michel Chapoulie, Les Professeurs de l’enseignement secondaire. Un métier de classe moyenne, Paris, éditions de la MSH, 1987.
- Alain Boissinot et Claude Lessard (dir.), « Enseignant, un métier d’avenir », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 94, 2023.
- Cette quantification est possible grâce à l’application Gallicagram, développée par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson.
- Dans l’ouvrage En quête d’enseignants cité, voir le chapitre de Pierre-Yves Connan, Angélica Rigaudière et al., « Quelles représentations du métier et de son attractivité dans les discours des professeurs des écoles ? Des univers sémantiques en tension ».
- Dans l’ouvrage En quête d’enseignants cité, voir le chapitre d’Alexandre Muñoz-Cazieux et Xavier Pons, « Les contractuels comme remède à la moindre “attractivité” des métiers de l’enseignement ou l’institutionnalisation de l’éphémérité ».
- En 1963, le traitement net s’élève pour un élève-professeur célibataire à Paris à 768 francs, soit 1 260 euros en 2023, selon le convertisseur de l’INSEE tenant compte de l’inflation.
- Une année supplémentaire pouvait être attribuée pour préparer l’agrégation.
- Géraldine Farges, Les Mondes enseignants. Identités et clivages, Paris, PUF, 2017.
- Circulaire du 6 novembre 2019 relative aux assistants d’éducation en préprofessionnalisation.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2024-6/renforcer-par-la-formation-l-attractivite-du-metier-d-enseignant.html?item_id=7919
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