Roger VANDOMME

Chief data scientist et président, SMC.ai

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Les consultants et le conseil en management

Au cœur de réussites mais aussi de controverses, le secteur du conseil en management présente deux faces. À condition de prudence et de méthode, le recours aux consultants peut être gage de succès. À défaut, cet emploi de ressources externes, aux caractéristiques souvent coûteuses et parfois idéologiques, peut se révéler contre-productif.

Le monde des consultants en management, ou conseils en gestion, est en plein essor. S’ils font parfois la une des journaux, pas toujours de manière flatteuse, les cabinets de conseil, qu’ils soient petits ou grands, jouent souvent un rôle crucial dans le développement des entreprises et l’atteinte de leurs objectifs. Leur rôle, cependant, reste sujet à controverse. Tentons de mieux comprendre ces acteurs incontournables des économies modernes et d’en tirer un enseignement.

Un peu d’histoire

Qu’elles soient exercées par des ministres, des vizirs ou des chanceliers, les fonctions de conseil ont toujours existé. Mais les débuts des cabinets structurés et spécialisés dans le monde des affaires sont bien plus récents. Les premiers cabinets de conseil, tels que Arthur D. Little (1886), Booz Allen Hamilton (1914) et McKinsey (1926) émergent aux États-Unis. À cette époque, leur rôle est principalement axé sur l’amélioration des systèmes de gestion et l’efficacité opérationnelle.

Pendant la Grande Dépression, dans les années 1930, les cabinets de conseil jouent un rôle essentiel en aidant les entreprises à s’adapter à la crise économique. Leurs services s’élargissent pour inclure des conseils en matière de restructuration et de planification stratégique.

Après la Seconde Guerre mondiale, le conseil en management connaît une croissance significative en raison de la nécessité pour les entreprises de se moderniser et de s’adapter aux nouvelles réalités économiques. Des cabinets comme The Boston Consulting Group (1963) voient le jour et contribuent à définir le secteur.

Puis les grands cabinets élargissent leur portée internationale dans les années 1970. Ils diversifient leurs services pour inclure des domaines tels que la gestion du changement, la stratégie d’entreprise et les fusions-acquisitions. Alimentés par la mondialisation des entreprises et les progrès technologiques, de nouveaux voient le jour, et certains atteignent une taille mondiale, comme Bain & Company (1973) et Deloitte Consulting (1995).

Les deux dernières décennies sont surtout marquées par une augmentation significative du nombre d’acteurs, en particulier avec l’émergence de cabinets spécialisés dans des secteurs spécifiques ou des niches d’expertise. Le rôle des consultants en management évolue sans cesse, pour inclure aujourd’hui des domaines tels que la durabilité, la transformation numérique, l’analyse de données et même l’intelligence artificielle.

Aujourd’hui, les grands cabinets de conseil en management continuent de jouer un rôle essentiel, offrant leurs services non seulement aux entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, mais également aux institutions et même aux États. L’industrie du conseil est en constante évolution pour s’adapter aux besoins changeants des entreprises, ce qui lui permet de rester un acteur majeur dans le paysage commercial moderne.

Cependant, la décision de faire appel à un cabinet de conseil puis le choix de celui-ci se révèlent particulièrement ardus tant la perception de ces acteurs peut être source de méfiance. Souvent perçus comme un mal nécessaire, ils sont trop petits ou trop grands, trop spécialisés ou trop généralistes ; et toujours trop chers.

Anges gardiens…

Il est difficile de contester que les consultants en management offrent une expertise extérieure et une approche objective à des défis organisationnels. Leurs services peuvent être inestimables pour les entreprises, en particulier pour celles qui cherchent à se développer, à se restructurer ou à résoudre des problèmes spécifiques et hautement complexes.

Un cabinet intègre et compétent pourra apporter à son client :

  • Une expertise externe et spécialisée. Les consultants en management apportent un regard neuf. Ils ont souvent une expérience diversifiée dans différents secteurs d'activité, et leurs compétences permettent d'apporter des solutions éprouvées ou des approches novatrices.
  • Une approche objective. Étant tiers indépendants, les consultants peuvent évaluer les problèmes et les opportunités sans être influencés par des biais internes ou par les politiques de l'entreprise. Ils peuvent ainsi fournir des recommandations objectives et impartiales.
  • Un gain de temps. Les consultants apportent une approche méthodique, une expérience diversifiée et une efficacité de travail qui peuvent accélérer le processus de prise de décision et d'exécution des projets.
  • Une flexibilité et une adaptabilité d'emploi. Les consultants peuvent être engagés pour des missions spécifiques et sur une période déterminée, offrant ainsi aux entreprises la possibilité d'obtenir une expertise précise sans avoir à supporter les coûts permanents liés aux embauches.
  • Une opportunité de formation et de développement. Travailler avec des consultants peut permettre aux employés de bénéficier d'un transfert de connaissances, ce qui renforce les capacités de l'entreprise à long terme.

Pour illustrer notre propos, il existe de nombreux exemples d’interventions positives de cabinets de consultants ayant contribué à sauver des entreprises ou à les transformer de manière significative. Dans les années 1990, IBM est confronté à une grave crise financière. En 1993, Lou Gerstner est nommé PDG et fait appel à McKinsey pour l’aider à restructurer l’entreprise. Grâce à leurs recommandations, IBM se recentre sur ses activités principales, réduit les coûts et adopte une approche axée sur les services. Ces changements permettent à IBM de se redresser et de redevenir un acteur majeur.

Toujours dans les années 1990, Apple est en perte de vitesse. Steve Jobs reprend la direction de l’entreprise en 1997 et engage Bain pour développer une nouvelle stratégie. Bain contribue à la création du célèbre « Think Different » et recommande un recentrage sur les produits phares. Ce seront notamment l’iMac et l’iPod. Ces initiatives se révèlent essentielles pour revitaliser Apple et en faire l’une des entreprises les plus prospères du monde.

En 2006, Ford Motor Company est au bord du gouffre. Alan Mulally est nommé PDG et engage Booz Allen Hamilton pour mettre en oeuvre un plan de redressement. Grâce à une stratégie de restructuration efficace, un recentrage sur les marques clés et une gestion plus rigoureuse des coûts, Ford évite la faillite.

… ou démons usurpateurs ?

Ces succès dépendent souvent de la combinaison d’une analyse approfondie des problèmes et des opportunités et d’une mise en oeuvre efficace des recommandations. Si ces exemples illustrent comment l’intervention de cabinets de conseil peut jouer un rôle clé dans la réussite d’une entreprise, tout n’est cependant pas rose dans le monde des consultants en management.

La perception négative qui leur est souvent attachée est malheureusement parfois méritée et repose sur des pratiques discutables, telles que :

  • La promesse d'experts mais le recours excessif aux stagiaires. Certains cabinets mettent en avant des noms d'experts renommés pour attirer les clients. Dans la réalité cependant, ces experts ne sont que rarement impliqués dans les missions. Une grande partie du travail est confiée à des stagiaires, ce qui permet d'augmenter les bénéfices, mais peut compromettre la qualité des services rendus.
  • La surutilisation de solutions génériques. Les cabinets de conseil ont souvent à traiter des problèmes similaires. Ainsi, pour économiser du temps, certains consultants peuvent être tentés de recycler des solutions génériques, qui ne sont pas spécifiquement adaptées aux besoins et aux défis de l'entreprise.
  • La création d'une dépendance. Faire appel à des consultants peut créer une dépendance à l'égard de sources externes pour résoudre les problèmes internes. Cela peut limiter la capacité de l'entreprise à développer des compétences, et même aller jusqu'à une perte de contrôle sur la gestion de l'entreprise. Certains cabinets peuvent être tentés de créer cette situation de dépendance sur le long terme dans le but de créer une clientèle captive.
  • La complexité de la mise en œuvre. L'exécution des recommandations du consultant peut être complexe, nécessitant des ajustements organisationnels parfois difficiles à réaliser. Fréquemment, les consultants se contentent de proposer les solutions. À charge pour l'entreprise de les exécuter. Il est ainsi souvent reproché aux consultants de proposer des solutions irréalisables. Ce qui ne les empêche pas de présenter leur facture.
  • La surfacturation. Parlant de factures, justement, les tarifs exorbitants ne sont pas le moindre reproche fait aux cabinets de conseil, renommés ou pas. Des accusations de surfacturation ont été portées contre certains cabinets, ce qui soulève des préoccupations quant à la transparence des tarifs et à la justesse des coûts facturés. Associé à l'accusation de création de dépendance, on commence à entrevoir de la malversation, voire de l'extorsion.

Les exemples ne manquent malheureusement pas. Ils sont d’ailleurs foison et ont nourri une riche littérature sur le sujet. En voici trois illustrations.

En 2001, Enron, l’une des plus grandes sociétés d’énergie aux États-Unis, s’effondre en raison de pratiques comptables douteuses et de fraudes. Arthur Andersen, l’un des plus grands cabinets d’audit et de conseil, est responsable, entre autres, de la vérification des comptes. Le cabinet est critiqué pour son manque de diligence dans la détection des irrégularités comptables et finalement reconnu coupable d’entrave à la justice, ce qui conduit à sa dissolution.

En 2008, l’effondrement de la banque d’investissement Lehman Brothers joue un rôle majeur dans la crise financière mondiale. Ernst & Young, le cabinet d’audit et de conseil chargé de la vérification des comptes, est critiqué pour avoir manqué de signaler certaines pratiques comptables risquées. Cette situation conduit à des poursuites judiciaires et met en lumière les lacunes du système de régulation et de supervision.

À partir de 2007, McKinsey, bien avant donc les débats français sur les recours du secteur public au cabinet, est impliqué dans une controverse liée à son travail avec Purdue Pharma. On reproche à McKinsey d’avoir conseillé Purdue sur la manière de stimuler les ventes d’OxyContin, un puissant analgésique opioïde, malgré les inquiétudes concernant les abus et les dépendances. Cette implication conduit à des critiques sévères et à des enquêtes judiciaires sur le rôle du cabinet dans la crise des opioïdes aux États- Unis, crise qui aura fait plus de 450 000 morts en deux décennies.

Ces exemples mettent en évidence les conséquences désastreuses qui peuvent découler d’interventions inappropriées ou négligentes de cabinets de consultants. Des erreurs de conseil, des manques dans l’évaluation des risques ou des conflits d’intérêts peuvent entraîner des répercussions graves pour les entreprises et conduire à des poursuites judiciaires, à des pertes financières importantes et à des dommages réputationnels.

Un rôle idéologique ?

Outre les aspects purement professionnels, il est aussi fait grief, essentiellement aux grands cabinets américains, d’être des vecteurs idéologiques. En effet, ceux-ci jouent un rôle significatif dans la sphère mondiale, tant dans le domaine des affaires que dans celui de la politique. Ces cabinets sont souvent accusés de promouvoir et de diffuser des idéologies atlantistes.

Ces accusations visent à souligner le rôle potentiellement biaisé de ces cabinets en faveur des intérêts américains et occidentaux, au détriment de perspectives globales plus diverses. Ces griefs sont essentiellement la promotion de politiques économiques néolibérales, la centralisation des pouvoirs, la diffusion d’une culture homogène, la formulation et la promotion de politiques publiques particulières.

Leurs partisans font valoir que leur objectif principal est de fournir des conseils basés sur l’expertise, et non de promouvoir des idées politiques. Malgré des efforts de communication, leurs détracteurs restent sceptiques quant à la possibilité d’éviter complètement les biais idéologiques dans un contexte international complexe.

Dans tous les cas, il serait souhaitable que les cabinets de consultants maintiennent des normes élevées d’intégrité, de transparence et de responsabilité. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. La décision d’utiliser les services d’un consultant et le choix de celui-ci se révèlent alors une tâche délicate.

Voici quelques conseils pour tirer pleinement parti de la relation avec celui qui devrait être un partenaire de confiance :

  • Clarifiez vos besoins. Identifiez clairement les problèmes que vous souhaitez résoudre ou les objectifs que vous souhaitez atteindre. Assurez-vous que les attentes sont bien définies dès le début de la collaboration.
  • Vérifiez les références. Assurez-vous de vérifier les antécédents des candidats et de contacter leurs anciens clients.
  • Contrôlez les coûts. Assurez-vous que les coûts sont clairement définis et n'hésitez pas à demander des exemples de projets similaires précédemment réalisés.
  • Encouragez la communication. Favorisez une relation de travail ouverte, où les membres de l'équipe interne peuvent poser des questions et exprimer leurs opinions.

En conclusion, les consultants en management peuvent jouer un rôle essentiel dans la réussite d’une entreprise. Bien choisis et utilisés à bon escient, ils peuvent apporter une valeur ajoutée significative. Cependant, il est important de rester vigilant face aux pratiques douteuses et de s’assurer que la relation est fondée sur la transparence, la communication et des objectifs clairs. Le succès de l’intervention dépend de la sélection judicieuse du cabinet et de la capacité de l’entreprise à tirer parti de son expertise tout en développant ses propres ressources internes.



Bibliographie

  • The Firm: The Story of McKinsey and Its Secret Influence on American Business, par Duff McDonald (2014). L'histoire de McKinsey, l'un des plus grands cabinets de consultants en management au monde, et son influence sur les entreprises américaines.
  • The Witch Doctors: Making Sense of the Management Gurus, par John Micklethwait et Adrian Wooldridge (1996). L'industrie des consultants en management et l'analyse de l'influence des "gourous" du management sur les entreprises.
  • The Lords of Strategy: The Secret Intellectual History of the New Corporate World, par Walter Kiechel (2010). L'évolution de la stratégie d'entreprise et l'impact des cabinets de conseil en gestion sur cette discipline.
  • The McKinsey Way, par Ethan M. Rasiel (1999). Aperçu du fonctionnement interne de McKinsey & Company et des méthodes de résolution de problèmes utilisées par le cabinet.
  • House of Lies: How Management Consultants Steal Your Watch and Then Tell You the Time, par Martin Kihn (2005). Regard satirique sur l'industrie des consultants en management et les tactiques utilisées par certains cabinets.
  • The Boston Consulting Group on Strategy: Classic Concepts and New Perspectives, par Carl W. Stern et Michael S. Deimler (2006). Principes fondamentaux de la stratégie d'entreprise tels qu'enseignés par le BCG.
  • The Halo Effect… and the Eight Other Business Delusions That Deceive Managers, par Phil Rosenzweig (2007). Mythes et illusions courantes dans le monde des affaires, y compris dans le domaine des consultants en management.
  • The Management Myth: Debunking Modern Business Philosophy, par Matthew Stewart (2010). Remise en question de certaines des idées couramment véhiculées par les consultants en management et les gourous du management.
  • Consulting Demons: Inside the Unscrupulous World of Global Corporate Consulting, par Lewis Pinault (2000). Exploration du côté sombre de l'industrie des consultants en management et mise en lumière des pratiques controversées.
  • Dangerous Company: Management Consultants and the Businesses They Save and Ruin, par James O'Shea et Charles Madigan (1997). Critique incisive du fonctionnement et de l'importance de l'industrie du conseil en gestion.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-11/les-consultants-et-le-conseil-en-management.html?item_id=7883
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