Le monde rural : réalités, difficultés et espoirs
Espaces ruraux et agriculture pâtissent de plusieurs idées fausses. En réalité, certaines tendances incontestablement problématiques se doublent de dynamiques positives. Dans la diversité de ses composantes locales, le monde rural a des atouts. À reconnaître et à valoriser.
Évoquer la ruralité, c'est en premier lieu se questionner sur le rapport que nous entretenons avec notre espace. Ce rapport a connu depuis ces trente dernières années de profonds bouleversements, sous l'influence d'une métropolisation accélérée, de l'étalement urbain et des dynamiques multimodales à l'œuvre.
La ruralité ne peut se résumer de nos jours à sa simple essence latine ruralis, campagne, qui la positionnerait comme une simple soustraction à l'espace urbain, alors que l'opposition classique entre la campagne et la ville tend à disparaitre. Afin de mieux cerner cette notion complexe de ruralité, tentons dans un premier temps d'en dessiner les contours.
Les mutations d'une ruralité plurielle
L'étude « Typologie des campagnes françaises » réalisée pour la Datar en 2011 semble, parmi les outils statistiques à notre disposition, la mieux à même d'apporter ce regard fin pour saisir les enjeux des territoires ruraux 1. Elle inclut toutes les communes qui n'appartiennent pas à une unité urbaine regroupant plus de 10 000 emplois. Dans cette optique, les campagnes représenteraient 43 % de la population nationale, soit un peu plus de 27 millions d'habitants, bien loin des 22,5 % du zonage en unités urbaines, référence historique utilisée par l'Insee.
De cette photographie, il est permis de tracer une définition qualitative de la ruralité, avec des dénominateurs communs applicables à tous les territoires ruraux : bâti peu dense (habitations, emplois, services), paysage à dominante végétale (cultivée ou non), environnement profondément marqué par l'activité agricole.
Même si la ruralité peut constituer un continuum dans ses périmètres, il n'en demeure pas moins que parler d'une ruralité monolithique serait un piège. En effet, les transformations à l'œuvre n'affectent pas les territoires de la même manière. Évidentes autour des périphéries des métropoles, des axes de communication et des interconnexions, elles sont en revanche beaucoup moins perceptibles dans les zones éloignées des grands centres urbains.
D'où la nécessité d'évoquer la ruralité au pluriel, en tant que territoires différents les uns des autres et dont les capacités de développement ne sont pas les mêmes.
Ces territoires répondent à des logiques propres et multiples. Les campagnes périurbaines ne répondent pas aux mêmes logiques que les campagnes « hors influence des pôles », tout comme les logiques des territoires de montagne ne répondent pas à celles des plaines. Trop souvent, nos politiques publiques ont oublié le caractère pluriel de la ruralité, conduisant à calquer sur l'ensemble du territoire des plans d'action nationaux ne répondant pas, ou que partiellement, aux réalités constatées sur le terrain.
Perceptions erronées
La ruralité souffre également d'une perception et de discours ambiants qui peuvent influencer la perception que les gens s'en font. À ce titre, il est d'usage d'entendre que les premières caractéristiques du rural seraient d'être « vieillissant », « peu animé » ou « en voie de désertification ».
La réalité est autre. La France connaît depuis plus de trente ans une dynamique démographique de retour vers la ruralité qui s'est substituée à l'exode rural intense, fruit de la restructuration des paysanneries enclenchée au début du XXe siècle. C'est notamment le cas sur la période 1999-2015, où plus de 80 % des communes rurales ont connu une croissance positive. Ce mouvement concerne tous les types d'espaces ruraux, même si la dynamique est inégale et variable dans le temps, notamment en fonction de la qualité des gouvernances territoriales.
De telles tendances ne peuvent s'expliquer par le renouvellement « naturel » des populations mais par l'arrivée de nouveaux habitants originaires de la ville, attirés par le cadre de vie et l'immobilier moins cher.
Le géographe Bernard Kayser avait, au début des années 1980, parfaitement cerné ce phénomène à l'œuvre en écrivant : « Les sociétés rurales sortent d'une longue phase de décomposition, pour entrer dans une phase de recomposition, qui est la conséquence à la fois de la différenciation [par rapport aux] paysanneries et de l'émergence de nouveaux groupes sociaux » 2.
Saisir cela est essentiel pour cerner les réalités actuelles du monde rural, avec l'émergence d'une nouvelle société rurale, très différente de la société paysanne qui a rythmé la vie des campagnes pendant des siècles.
Cette nouvelle société modifie en profondeur les usages des territoires, jusqu'alors essentiellement destinés à la production agricole.
Conflits d'usage et cohabitations difficiles
La campagne productive se voit bouleversée dans sa vocation première par de nouvelles formes d'usage récréatives et résidentielles. La recrudescence des conflits d'usage ces dernières années est le marqueur le plus tangible de cette lente transformation à l'œuvre, qui fait des espaces ruraux l'objet de revendications nouvelles portées, d'une part, par les néoruraux et, d'autre part, par les touristes, qui attachent une importance croissante à la préservation de leur cadre de vie.
Face à la montée des problématiques environnementales, de nouvelles lignes de conflit se dessinent avec les populations « traditionnelles », au premier rang desquelles se trouvent les agriculteurs. Le cas récent et médiatique de la mise en place des zones de non-traitement (ZNT) en est l'exemple le plus criant.
Même si la cohabitation est parfois compliquée, il est certain que les attentes et les modes d'intégration de ces nouvelles populations accompagnent la transformation du regard que l'ensemble de la société porte sur la ruralité.
Images simplificatrices
La deuxième perception que les Français se font de la ruralité est qu'elle serait un no man's land économique. Selon une étude de Familles rurales menée en 2019, 46 % d'entre eux associent même, en premier choix, ces territoires à des difficultés socio-économiques.
La théorie d'une croissance des grandes aires urbaines irriguant le reste du territoire à travers diverses redistributions financières est en partie responsable de cette vision : en dehors des métropoles, point de salut économique !
Certes, les trois quarts des emplois créés depuis 2007 le sont dans seulement quinze métropoles. Certes, de nombreux bassins ruraux ont été les premières victimes de la désindustrialisation, de la fermeture des services publics et des commerces. Mais y a-t-il une fatalité au décrochage économique de ces territoires ?
Pour reprendre les termes du rapport du CGET de 2018, « il n'y a pas, d'un côté, des métropoles dynamiques et, de l'autre, des territoires périphériques sacrifiés sur l'autel de la mondialisation » 3. Il y a des réalités territoriales diverses entre ceux qui foncent, ceux qui s'accrochent et d'autres qui décrochent.
Tout l'enjeu du développement socio-économique des territoires ruraux réside dans notre capacité collective à répondre aux réalités spécifiques de chaque territoire. Il est trop confortable de penser que la politique d'aménagement du territoire doit consister en une servile mise sous perfusion. Aux difficultés des ruralités, il serait temps d'opposer les opportunités à exploiter et de libérer les énergies des acteurs de terrain.
À ce titre, les Français ne savent peut-être pas que le Choletais, ancienne zone textile sinistrée, a l'un des plus bas taux de chômage de France (5,4 % au 1er trimestre 2019) et qu'en Vendée près de 200 000 habitants sont venus s'installer en l'espace de trente ans, attirés par un dynamisme économique loin de toute grande métropole. Ces exemples montrent combien les territoires ont chacun des potentiels socio-économiques en devenir. Les élus locaux, les acteurs économiques doivent être en capacité de les réveiller, et l'État en mesure de les accompagner… avec bienveillance. Là est la clé d'un aménagement du territoire pérenne et efficace, au plus proche des réalités rurales !
L'agriculture cruciale
Il ne faudrait pas, dans ce panorama socio-économique, oublier le rôle prépondérant et structurant qu'occupe l'agriculture. Cette activité primaire, cœur du moteur productif de la ruralité, doit aussi faire face aux profondes mutations que traversent ces territoires.
C'est un fait, la physionomie de notre territoire national est, aujourd'hui encore, très largement dessinée par sa destination essentiellement agricole. Le territoire agricole occupe en effet 32 millions d'hectares sur les 55 que compte le territoire métropolitain.
Si le nombre d'agriculteurs se réduit progressivement, du fait du vieillissement de sa population et de l'augmentation des unités productives, l'écosystème d'emplois occupés ou induits par l'activité agricole reste extrêmement important. La notion de « complexe agroalimentaire », de l'amont à l'aval de la chaîne alimentaire, peut être appliquée à environ 15 % des emplois de la population active.
Au-delà de ces données économiques, une analyse plus sociologique montre combien les agriculteurs demeurent aussi très investis dans la vie de territoires ruraux. Dépositaires d'un héritage symbolique, ils s'investissent plus que la moyenne dans les activités locales de socialisation (associations, fonctions électives).
L'agriculture fait vivre la ruralité dans ses paysages, sa sociologie et ses opportunités de croissance. Elle est présente dans tous les territoires y compris dans les zones de montagne où elle reste souvent la seule activité économique. Elle constitue ainsi la première politique d'aménagement du territoire car elle entraîne toutes les autres activités. Le soutien public à l'agriculture est un paramètre incontournable de la vitalité des territoires.
L’agriculture innove aussi en permanence pour rester compétitive dans un marché mondialisé et pour répondre aux besoins de nos concitoyens en matière d’alimentation et d’environnement. Elle s’inscrit pleinement dans la lutte contre le changement climatique et la transition écologique par une amélioration constante de ses systèmes de production et par une participation active à la création d’énergies renouvelables.
Les services publics conditionnent l’attractivité du monde rural. Des trésors d’énergie ont été déployés
pour que soient prises en compte, par nos gouvernants, les demandes qui s’expriment en matière d’accès à la santé, au numérique, aux biens de première nécessité, à l’éducation et aux activités culturelles.
Progressivement, des maisons de santé se mettent en place, l’Internet se déploie. Des engagements ont été
pris par le gouvernement en matière d’éducation, de culture, dans le cadre de l’agenda rural, afin de renforcer l’attractivité du monde rural. Les ruraux seront vigilants sur la mise en œuvre de ces promesses.
L’agriculture est le cœur battant de la ruralité. La ruralité est une chance pour la France. Valorisons-les !
- Rapport d'étude sur la typologie des espaces ruraux et des espaces à enjeux spécifiques (littoral et montagne) par l'UMR Cesaer (Inra-AgroSup Dijon), l'UMR Théma (université de Franche-Comté-CNRS), l'UR DTM (Cemagref) et l'UMR Metafort (AgroParisTech, Cemagref, Inra, VetAgroSup) pour le compte de la Datar, novembre 2011.
- Bernard Kayser, « Subversion des villages français », Études rurales, nos 93-94, 1984.
- CGET, « Rapport sur la cohésion des territoires » (https://www.cget.gouv.fr/dossiers/rapport-cohesion-territoires).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2020-3/le-monde-rural-realites-difficultes-et-espoirs.html?item_id=5724
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