Vincent AUGISEAU

Enseignant chercheur à Unilasalle Rennes et cogérant de CitéSource.

Partage

Le local, ressource pour la construction

Le bâtiment et les travaux publics sont des activités locales. Celles-ci requièrent cependant des ressources dont l'extraction et la transformation tendent à s'éloigner des chantiers. Les ressources secondaires, matériaux retirés des ouvrages lors de leur démolition ou réhabilitation, constituent une alternative locale. L'utilisation de ressources locales peut contribuer à des stratégies d'économie circulaire visant à réinscrire la filière construction au sein des limites des territoires et de la biosphère.

La construction et le renouvellement d'ouvrages bâtis requièrent l'extraction et la transformation de ressources matérielles. Ces dernières ont été historiquement prélevées en majorité dans le milieu naturel (ressources dites primaires) et à proximité des chantiers afin de réduire les coûts de transport. L'absence de ressources locales, la possibilité de recourir au transport maritime ou fluvial, et le fort pouvoir politique et financier de maîtres d'ouvrage ont parfois permis de s'affranchir de cette contrainte de proximité. Mais c'est à partir du XIXe siècle que l'industrialisation de la production et le développement des réseaux de transport ont permis l'utilisation plus fréquente de matériaux non locaux. Aujourd'hui, des matériaux pondéreux sont transportés sur de très longues distances, ainsi par exemple le sable importé depuis l'Australie par Dubaï.

En France, l'extraction et la production de matériaux relèvent d'échelles dépassant souvent celle d'une région, et ces activités tendent à s'éloigner des chantiers. Les distances moyennes parcourues par les matériaux jusqu'au chantier sont importantes, notamment pour des matériaux de gros œuvre. Si les granulats ne parcourent que 42 km, le bois d'une charpente traditionnelle en résineux fabriquée en France effectue en moyenne 171 km, une poutrelle en béton, 250 km et une poutrelle en acier, 272 km. La part des importations internationales dans la consommation en France varie selon les matériaux : tandis que 6 % seulement des minéraux utilisés en 2012 en France sont importés, la majorité du bois utilisé pour la construction de maisons à ossature en bois provient de l'étranger.

Or, les ouvrages bâtis forment un stock de ressources locales dites secondaires. En effet, les matériaux contenus aujourd'hui dans les bâtiments et les réseaux constituent des ressources qui peuvent être utiles pour la construction de futurs ouvrages. Extraites au sein même de la ville, elles peuvent partiellement être substituées à des ressources naturelles. Cette utilisation est souvent dénommée extraction urbaine (en anglais urban mining). Elle est relativement faible à l'échelle mondiale, puisqu'environ un tiers de la masse des matériaux extraits des stocks est utilisé dans la construction. De plus, les matériaux secondaires ne représentent que le dixième des matériaux utilisés. Ces valeurs sont supérieures en France où environ 50 % des déchets hors matériaux excavés ont été valorisés dans la construction en 2014.

L'approvisionnement en matériaux de l'Île-de-France

Le cas de la région Île-de-France illustre l'éloignement de l'approvisionnement en matériaux primaires et le potentiel que représentent les ressources secondaires locales. L'Île-de-France a importé en 2013 la moitié des matériaux de construction qu'elle a consommés 1. Son aire d'approvisionnement est étendue et dépasse le Bassin parisien. Environ un quart des importations depuis d'autres régions ou pays recourent au transport fluvial et un huitième au réseau ferré. Ces modes de transport permettent de réduire de plus de moitié le coût par tonne-kilomètre et d'accéder au centre de l'espace urbanisé, un tiers des sites de production de béton prêt à l'emploi et d'enrobés bitumineux étant situés en bordure de voie d'eau. De plus, la collecte sur les installations portuaires de déchets inertes utilisés notamment pour le réaménagement des carrières permet d'optimiser le taux de charge des péniches.

L'importation de matériaux répond également à la difficulté croissante d'extraire et transformer localement des ressources naturelles. En effet, l'extraction de granulats a chuté de 60 % depuis 1993, et celle de bois d'œuvre de 50 %. La région comptait cinq cimenteries dans les années 1950 contre une seule en 2013. Une soixantaine de scieries étaient en activité dans les années 1970 contre cinq aujourd'hui. Dans le cas des granulats alluvionnaires, cette chute est liée à un épuisement des ressources. Elle résulte aussi du recouvrement des ressources par l'espace urbanisé. À ces contraintes physiques s'ajoutent des contraintes réglementaires édictées à l'échelle régionale ainsi que l'interdiction de l'ouverture de carrières dans les plans locaux d'urbanisme. Enfin, le coût du foncier et la concurrence internationale limitent fortement ces activités.

L'extraction de ressources secondaires croît et se rapproche de l'extraction primaire : 47 % des ressources secondaires extraites en 2013 ont été employés dans la construction. Les ressources secondaires restent peu utilisées au regard de leur qualité. Les granulats issus du recyclage sont très majoritairement employés en remblais et travaux routiers, usages moins exigeants que la production de bétons. L'utilisation de ces ressources fait face à des contraintes depuis la collecte, la séparation et le tri sur chantier, avec notamment une faible anticipation des flux, jusqu'à la prescription et l'utilisation de ces matériaux secondaires, limitées notamment par le cadre réglementaire et assurantiel 2.

Des politiques territoriales visant à soutenir le développement de ressources locales

La planification régionale vise à maintenir une extraction et une production locales de matériaux primaires via le schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif), le schéma régional des carrières, le programme régional de la forêt et du bois et la stratégie régionale pour l'essor des filières de matériaux et produits biosourcés. Le Sdrif définit notamment un objectif de stabilisation d'ici à 2030 de la part des importations de granulats dans la consommation. Cependant, l'application de ces documents se heurte à des politiques locales et des oppositions de riverains, en particulier pour les ressources minérales. Des démarches de collectivités locales, telles que Plaine Commune, visent néanmoins à soutenir la production locale de matériaux, et notamment l'utilisation de bois feuillus dans la construction.

Le plan régional de prévention et de gestion des déchets vise par ailleurs à développer l'utilisation de ressources secondaires. Ce développement est également soutenu par des collectivités territoriales. Un projet initié par l'établissement public territorial Est Ensemble, auquel CitéSource a contribué, a permis de constituer des données sur les ressources aujourd'hui présentes au sein des périmètres des projets connus.

Les flux entrants et sortants que génèreront ces projets ont été estimés par matériaux. Les sites de stockage intermédiaire et de production de matériaux présents sur le territoire et dans un rayon de 15 km ont été identifiés. Ces informations sont mises à disposition des acteurs de la construction et de l'aménagement via une base de données géolocalisées. Ce partage d'informations vise à favoriser les échanges de flux, ou synergies, entre chantiers. Cette base pourrait même intégrer les données sur les projets issus de BIM et constituer ainsi des passeports de matériaux.

Approvisionnement local et économie circulaire

En cherchant à valoriser sur le territoire même les ressources secondaires qui y sont extraites et à limiter ainsi l'utilisation de ressources primaires, la démarche mise en œuvre par Est Ensemble peut contribuer à limiter les impacts et conflits d'usage des sols liés aux activités d'extraction primaire et de stockage de déchets. Elle ambitionne aussi de soutenir l'activité économique locale, notamment à travers des structures d'économie sociale et solidaire identifiées. L'utilisation de ressources secondaires, dont des granulats recyclés dans le béton, pourrait en outre permettre de réduire les impacts environnementaux des projets urbains. Cependant, cette réduction dépend de la formulation des bétons et des distances parcourues par les granulats.

De même, l'utilisation de matériaux primaires locaux dans un projet de construction n'engendre pas nécessairement une réduction des impacts environnementaux sur le cycle de vie de l'ouvrage. En effet, la part du transport des matériaux dans ces impacts est relativement faible. De plus, outre la distance parcourue, le mode de transport et le taux de remplissage des véhicules sont influents. Selon l'Arene Île-de-France et l'Iceb, « une ardoise venant de Chine par camion jusqu'au bateau puis par bateau jusqu'en France puis par péniche jusqu'au chantier pourra avoir un supplément d'énergie grise plus faible qu'une ardoise d'Espagne » 3. Aussi, les auteurs recommandent « pour des bâtiments à proximité d'un port [de] ne pas exclure le recours à des matériaux lointains s'ils sont approvisionnés par bateau ».

Par conséquent, l'utilisation de matériaux primaires ou secondaires n'implique pas nécessairement une réduction globale des impacts environnementaux d'un ouvrage. Cette utilisation est à inscrire au sein de stratégies d'économie circulaire cohérentes au regard des enjeux des territoires et des projets. Une stratégie en quatre étapes hiérarchisées est par exemple préconisée pour la ville d'Amsterdam pour la conception de bâtiments. Premièrement, réduire la demande de ressources, puis identifier et exploiter les synergies locales qui peuvent satisfaire ces demandes, et enfin couvrir les demandes restantes par des ressources à moindre impact et suivre les résultats. Une telle stratégie peut permettre de contribuer à ancrer les activités de construction et d'aménagement au sein d'un territoire local mais surtout à réinscrire ces activités dans les limites de la biosphère.



  1. Voir Vincent Augiseau, La dimension matérielle de l'urbanisation. Flux et stocks de matériaux de construction en Île-de-France, thèse de doctorat, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, 2017.
  2. Vincent Augiseau, « Utiliser les ressources secondaires de matériaux de construction : contraintes et pistes d’action pour des politiques territoriales », Flux, nos 116-117, 2019.
  3. L’énergie grise des matériaux et des ouvrages, « les Guides bio-tech », Arene Île-de-France et Iceb, 2012.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2020-3/le-local-ressource-pour-la-construction.html?item_id=5732
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article