Vincent PAVANELLO

Cofondateur de l'association Real Estech.

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Les start-up de l'immobilier vont-elles révolutionner le secteur ?

La révolution numérique et les start-up ont bouleversé les industries de la culture, de la communication, de la mobilité. Il pourrait en aller de même dans l'immobilier. En France, les acteurs établis sont partenaires de ces nouveaux entrants. Aux États-Unis et en Chine, les géants du Net s'impliquent, annonçant des transformations radicales du secteur.

Depuis le début de la bulle Internet jusqu'à la fin des années 2000, les startupeurs (fondateurs de start-up) du monde entier ont plutôt boudé le secteur immobilier. Trop réglementé, trop intensif en capital et mal compris par des jeunes entrepreneurs dont l'expérience immobilière se limitait souvent à la colocation. Aussi, ils ont préféré consacrer leur énergie à la création de nombreux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn, etc.), où l'augmentation du nombre d'utilisateurs pouvait être très rapide. Puis, à partir de 2010, la donne a changé. L'overdose de réseaux sociaux, avant même les déboires de Facebook, a incité les entrepreneurs à explorer de nouveaux horizons. Le transport, avec Uber ou Tesla, est ainsi devenu l'un des nouveaux terrains de jeu des startupeurs de la Silicon Valley. Il en a été de même pour l'immobilier, où de nombreuses start-up ont vu le jour. État des lieux.

Des start-up à tous les étages

Aux quatre coins du monde, on voit fleurir un nombre important de start-up dans le secteur immobilier. Du financement des biens à leur gestion, en passant par leur construction, aucun maillon de la chaîne de valeur n'est épargné par ce mouvement qui touche à la fois l'immobilier résidentiel et commercial. Loin du mythe de l'entreprise gérée depuis un garage, de nombreuses start-up de l'immobilier ont déjà atteint des tailles significatives. À l'échelle du monde, 120 d'entre elles ont levé plus de 10 millions de dollars1. Rien qu'en France, on compte environ 400 start-up du secteur, dont plusieurs pépites comme Finalcad, Habx ou Habiteo. Cette émergence rapide peut être expliquée par trois facteurs.

Premièrement, de nombreuses technologies ont été éprouvées dans d'autres secteurs et peuvent dorénavant être utilisées dans l'industrie immobilière à des coûts réduits. C'est le cas de la réalité augmentée, des drones, de l'impression 3D mais également de l'ensemble des objets connectés. Par exemple, le coût moyen d'un capteur est ainsi passé de 1,30 dollar en 2004 à 0,60 en 2017. Pour reprendre les termes de l'économiste Philippe Aghion, l'immobilier est en situation de rattrapage par rapport aux secteurs qui sont à la frontière technologique.

Deuxièmement, on observe une forte libération des données dans le secteur immobilier. Autrefois peu enclins à partager cette ressource, les acteurs en place prennent conscience de l'intérêt d'une plus grande transparence. En France, plusieurs sociétés comme MeilleursAgents mettent en ligne les données qu'ils possèdent sur l'ensemble du parc immobilier (dates de construction, nombres de lots, prix moyens dans les zones, etc.). Les acteurs publics jouent également le jeu avec la mise en ligne récente de la base Patrim ou du registre des copropriétés.

Troisièmement, les attentes des consommateurs ont évolué, notamment chez les fameux « millennials » (personnes nées après 1980). Ceux-ci ont pris l'habitude de réserver des rendez-vous chez leur coiffeur ou leur médecin en trois clics. Et ils souhaitent en faire de même avec leur agent immobilier ou leur promoteur. De plus, ils entendent pouvoir évaluer les services qui leurs sont proposés, comme c'est le cas sur les sites LaFourchette ou Booking.com.

La plupart des start-up sont partenaires des acteurs établis

Jusqu'à présent, la plupart de ces start-up cherchent à travailler avec les acteurs établis du secteur. Elles deviennent alors prestataires de services pour les agents immobiliers, les promoteurs, les constructeurs ou les foncières qui s'appuient sur elles pour réussir leur transformation digitale.

Les exemples de partenariats entre David et Goliath sont légion. La start-up MyNotary a créé une plateforme où se retrouvent toutes les parties prenantes d'une transaction immobilière : notaire, agent immobilier, banquier, assureur, etc. Ce lieu de rencontre numérique permet une centralisation des documents et donc, in fine, une plus grande fluidité dans la transaction. Autre exemple, la start-up Inch simplifie les activités de syndic et de gestion immobilière. Son service améliore la relation entre les administrateurs de biens, les résidents et les fournisseurs. Dans les deux cas, MyNotary et Inch aident les acteurs en place à mieux faire leur travail, mais ils ne se substituent ni aux agents immobiliers ni aux syndics de copropriété.

La transaction et l'administration de biens ne sont pas les seules activités où l'on retrouve des start-up partenaires des entreprises établies. Au contraire, les métiers de la construction voient aussi arriver des start-up, souvent créées par des entrepreneurs qui ont une forte expérience dans l'industrie. Ce type de profil traite de problématiques moins connues par le grand public. C'est le cas de Lionel Granier, qui a mis au point un logiciel (Show You) de gestion des TMA (travaux modificatifs d'aménagement) après avoir passé plusieurs années chez Nexity, BPD Marignan et Bouygues Immobilier. Il en va de même pour Ali El Hariri, qui a créé Bulldozair, une application de suivi de chantier, après une expérience chez Bouygues Construction.

Avec ce type de partenariats, on peut dire que les start-up accompagnent la transformation du secteur plus qu'elles ne le révolutionnent. En effet, elles aident les entreprises établies à générer des gains de productivité, mais elles ne permettent pas une baisse des coûts. Au contraire, ces services supplémentaires viennent s'ajouter au coût de revient, alors même que l'immobilier est déjà trop cher à produire et à administrer. Le phénomène d'ubérisation qui a touché d'autres secteurs économiques se caractérise par une déflation forte. Elle restera théorique dans le secteur immobilier tant que David ne défiera pas Goliath.

Faire concurrence aux acteurs établis pour révolutionner le secteur

Heureusement pour le consommateur final, il existe des pays où les petits attaquent les gros. C'est notamment le cas aux États-Unis, où la concurrence frontale entre start-up et grands groupes est plus assumée. Opendoor, Katerra et WeWork s'attaquent ainsi respectivement aux agents immobiliers, aux constructeurs et aux foncières.

Opendoor est une start-up qui rachète votre bien immobilier en quarante-huit heures et qui porte l'actif à son bilan jusqu'à la revente. Pour réduire au minimum la durée de ce portage, elle installe des serrures connectées sur l'ensemble de ses biens. Ainsi, plus besoin de personnes physiques pour gérer les visites des potentiels acquéreurs. Cette start-up, qui est déjà valorisée plus de 1 milliard de dollars (c'est donc une « licorne »), est en concurrence directe avec les agents immobiliers américains, dont les honoraires avoisinent les 6 %.

Katerra est une entreprise de construction hors site créée par un ancien dirigeant de Tesla. Entièrement numérisées, la plupart des pièces sont produites en usine puis assemblées sur le chantier. Cette méthode de préfabrication en bois ne s'applique pas seulement aux maisons individuelles mais également aux immeubles collectifs jusqu'à quatre étages. Créée en 2015, l'entreprise est déjà rentrée dans le top 25 des constructeurs américains. Elle vient de lever 1 milliard de dollars auprès de Vision Fund, le plus gros fonds de capital-risque du monde.

WeWork est un opérateur de coworking dont la première vocation était d'exploiter des immeubles de bureaux. Cependant, la firme américaine a annoncé vouloir créer sa propre foncière afin d'être également propriétaire des murs de ces bureaux. Ce modèle 100 % intégré pourrait inquiéter les foncières classiques. Ce changement de stratégie de WeWork n'est pas sans rappeler celui d'Airbnb quelques années auparavant. En effet, la start-up californienne était initialement prestataire des hôteliers qui lui confiaient la gestion de leurs chambres vacantes. Ce n'est qu'après avoir constitué une grande communauté de clients qu'Airbnb est devenu un concurrent des hôteliers.

Au-delà de ces trois « licornes » américaines, le secteur immobilier pourrait être bouleversé par l'arrivée des Gafa et des BATX (leurs homologues chinoises). Depuis 2017, Google s'est lancé dans la construction modulaire aux États-Unis Facebook a ouvert sa marketplace, où l'immobilier est en bonne place Alibaba a créé une plateforme biface bailleur-locataire. Plus important encore, ces acteurs dépensent des centaines de millions de dollars pour racheter les start-up les plus prometteuses du secteur immobilier. Amazon a récemment déboursé plus de 1 milliard de dollars pour faire l'acquisition de Ring, une start-up qui fabrique des sonnettes connectées. Dans ce contexte, on imagine mal comment ces géants du digital ne seront pas rapidement en mesure d'achever, aux deux sens du terme, la révolution du secteur immobilier.

  1. Source Real Estech, https://realestech.eu.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-7/les-start-up-de-l-immobilier-vont-elles-revolutionner-le-secteur.html?item_id=3663
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