Hélène VALADE

Présidente de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse).

Daniel LEBÈGUE

Président d'honneur de l'Orse.

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L'entreprise du XXIe siècle sera contributive et responsable

Les entreprises prennent de plus en plus conscience de leurs responsabilités élargies. Les nouvelles générations soucieuses de sens, les nouveaux modèles économiques de la circularité et de la fonctionnalité, l'acuité des défis globaux et l'exemplarité des institutions engagées poussent à davantage d'implication encore.

En 2015, dans la perspective de la COP 21, 39 grandes entreprises françaises s'étaient engagées pour lutter contre le changement climatique. À l'occasion du One Planet Summit, lancé par le président de la République le 12 décembre 2017, ces mêmes entreprises ont renforcé leur engagement et ont été rejointes par d'autres. Le French Business Climate Pledge rassemble désormais 91 entreprises, qui consacreront d'ici à 2020 320 milliards d'euros en financement, recherche et développement, innovation pour une société « bas carbone ».

Cette prise collective d'engagements est très significative des changements qui s'opèrent au sein des entreprises. Elles agissent pour un intérêt qui dépasse celui de chacune d'entre elles et qui est général. Et en effet, au cours des quinze dernières années, le concept de RSE a généré une transformation sans précédent d'un nombre important d'entreprises dans leurs interactions avec la société. Elles ont progressivement pris en compte les dimensions environnementales, sociales et éthiques dans les processus de conception, de fabrication, de commercialisation et de management. Parallèlement, nombre d'entre elles se sont dotées de comités de parties prenantes ou ont organisé leur consultation régulière.

Résultat : l'avènement d'une entreprise d'un nouveau genre, l'entreprise contributive aux défis d'intérêt général que sont le changement climatique, la raréfaction des ressources, la montée du chômage, la fracture territoriale et les inégalités. Cette évolution est le fruit d'une alchimie heureuse entre démarches volontaires et issues de la loi. Elle se met en œuvre dans le cadre d'un corpus réglementaire désormais installé (égalité entre les sexes, stratégie « bas carbone », devoir de vigilance et respect des droits humains fondamentaux, etc.).

Entreprise et société sont en symbiose

Bon nombre d'entreprises ont compris qu'elles n'étaient pas simplement sur un marché financier privilégiant le court terme, mais également en société. Elles lui sont redevables tout comme elles contribuent à son bon fonctionnement, à partir des ressources qu'elle leur a confiées. Cette contribution est gagnante pour toutes les parties prenantes si elle s'inscrit dans une perspective de progrès à la fois économique, social et environnemental. À ce titre, les entreprises proposent les solutions d'un développement et d'une création de valeur durables et transforment, pour certaines d'entre elles, structurellement leurs modèles économiques.

C'est notamment le cas de celles — grandes entreprises ou PME — qui ont résolument inscrit leurs activités dans une logique d'économie circulaire. Considérant que les déchets (de chantiers, d'emballage, ménagers, etc.) sont potentiellement des ressources (pour le réemploi, la réincorporation dans la fabrication, la production d'énergie renouvelable, etc.), elles gagnent en performance opérationnelle et économique, tout en émettant moins de CO2 et en créant des emplois.

Et pourtant, ce concept d'entreprise responsable et contributive ne fait pas l'unanimité, ni dans le monde économique ni dans le monde politique et académique. Le projet de loi Pacte (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) a permis de l'installer au centre des débats et de faire émerger un certain nombre de propositions pour le déployer à plus grande échelle, comme celles du rapport Notat-Senard. Au sein de l'Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises), nous oeuvrons depuis dix-huit ans pour accompagner les entreprises dans la mise en place de leur politique RSE. Nous sommes convaincus que l'entreprise qui ne se soucie pas de son empreinte environnementale, de son ancrage local, du bien-être de ses salariés sera progressivement mise hors jeu. Le modèle de l'entreprise du XXIe siècle sera celui de l'entreprise responsable et contributive pour quatre raisons.

Quatre fondements de l'entreprise responsable et contributive

Les nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail ont des attentes bien différentes de celles de leurs aînés. Socialisées dans un contexte de chômage et de montée en puissance des préoccupations environnementales, elles ont avant tout besoin de sens, d'avoir la preuve de l'utilité de leur travail et attendent une plus grande harmonie entre vie privée, vie professionnelle et engagement sociétal. De ce point de vue, l'entreprise qui énonce clairement sa raison d'être au regard des grands enjeux de notre temps aura plus de chances d'être attractive. Ces nouvelles générations sont aussi les consommateurs de demain. Plus outillées et informées, elles adopteront des comportements d'achat qui soutiendront probablement plus qu'aujourd'hui les entreprises responsables.

Par ailleurs, il n'y a pas d'entreprise qui gagne dans un monde qui perd. L'acuité des défis est telle qu'elle nécessite une alliance entre les acteurs privés, publics et les ONG pour tenter d'y répondre. À titre d'exemple, l'impact du changement climatique sur les ressources en eau, l'alimentation, la santé, mais également la paix et les inégalités est tel qu'aucun des acteurs ne pourra y remédier seul. Les États qui ont pris des engagements pour réduire les émissions de CO2 ont besoin de la contribution des entreprises, qui elles-mêmes ont besoin de signaux clairs pour l'instauration d'un prix crédible du carbone, dépendante quant à elle du niveau de sensibilisation d'une opinion publique informée par les ONG. Comme y incite l'objectif 17 de l'agenda onusien du développement durable, c'est grâce à des partenariats entre l'ensemble des acteurs concernés qu'il sera possible de progresser.

Les nouveaux modèles économiques qui sont en train d'émerger aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'économie circulaire ou de l'économie de la fonctionnalité, installent l'entreprise dans un écosystème et s'inscrivent en rupture avec le fonctionnement classique qui met face à face une entreprise et son client. Désormais, et l'exemple du BTP est particulièrement significatif, une entreprise apporteuse de solutions peut l'être en partenariat avec d'autres entreprises et s'adresse à une communauté d'acteurs qui eux-mêmes interagissent. Les nouveaux modèles économiques se caractérisent par leur horizontalité. Ils font une large place à la co-construction et à la co-innovation. Autrement dit, l'opposition classique entre le capitalisme des actionnaires et le capitalisme des parties prenantes est vidée de son sens par l'évolution du métier lui-même.

Enfin, les entreprises qui ont pris à bras le corps la question de leur responsabilité et de leur contribution aux grands enjeux de la société commencent à faire levier sur l'écosystème au sein duquel elles opèrent. Le monde de la finance, par exemple, s'est mis en mouvement et les investisseurs, notamment institutionnels, commencent à intégrer des critères ESG (environnement, social, gouvernance) dans leurs choix, même si la dynamique reste encore insuffisante. « La société exige que les entreprises, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun. Pour prospérer au fil du temps, toute entreprise doit non seulement produire des résultats financiers, mais aussi montrer comment elle apporte une contribution positive à la société », exhorte Larry Fink, président de BlackRock, premier fonds d'investissement mondial avec 6 000 milliards d'actifs sous gestion.

Réconcilier les actionnaires et l'ensemble des parties prenantes

Le temps est sans doute venu de mettre fin à une vision manichéenne de l'entreprise, avec d'une part des actionnaires qui par définition n'auraient qu'une approche financière et de court terme de la performance, et, de l'autre, des parties prenantes internes et externes en attente de progrès sociaux et environnementaux, quels que soient leurs coùts.

Un chef d'entreprise n'est pas schizophrène : il ne peut tenir un discours à ses actionnaires et un autre à ses collaborateurs et clients. L'entreprise responsable et contributive les réconcilie. Car elle est au fond simplement le fruit des interdépendances du monde contemporain et d'une aspiration à un développement plus harmonieux et plus durable. l

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