Cécile JOLAS

Coordinatrice du pôle ingénierie numérique, plateforme Tipee.

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Optimiser la performance du bâtiment

Algorithmes et abondance de données facilitent la conception intégrée des bâtiments. Les analyses, en particulier sur le plan énergétique, peuvent désormais reposer sur une multitude de scénarios se nourrissant des évolutions des maquettes numériques. Qualité des données et interopérabilité des systèmes restent néanmoins à améliorer. Des outils sont disponibles, mais il faut encore progresser.

Qu'il s'agisse de programmes de construction neuve ou de rénovation, les opérations de logements comme celles du tertiaire ou d'équipements complexes reposent traditionnellement sur de multiples axes de conception interférant les uns avec les autres (structure, énergie, acoustique, économie). Aux obligations légales et normatives, s'ajoutent fréquemment des exigences de performance pouvant aller jusqu'à l'attribution d'une ou plusieurs reconnaissances (labels, certifications). En toutes ces matières le recours au traitement des données massives et à l'intelligence artificielle autorise des projets aux performances accrues, notamment dans le domaine énergétique.

Le seul axe de la performance énergétique représente depuis de nombreuses années à la fois une thématique réglementaire et structurelle des stratégies de la France afin de respecter ses obligations internationales, et notamment européennes en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi une dimension de plus en plus structurante de la valeur d'un bien. De nombreux paramètres sont en jeu : certains liés à la composition de l'ouvrage (géométrie, systèmes de chauffage et de ventilation, vitrage, mode d'isolation, orientation, mode constructif), d'autres au fonctionnement du bâtiment (scénarios d'occupation par exemple). Tous ces paramètres influent sur les scénarios d'intervention et contraignent certains choix.

En pratique, les alternatives de scénarios énergétiques, environnementaux ou économiques proposées par les concepteurs aux maîtres d'ouvrage sont limitées tant par la durée des études que par les contraintes des projets en eux-mêmes (saisie des métrés et données, modélisation des hypothèses, limite des outils existants). Toutes ces options sont de plus en plus souvent modélisées tout au long du cycle de vie. Sur tous ces plans, l'abondance de données prévaut désormais, et il faut les intégrer dans une vision d'ensemble, ce que rendent possible les algorithmes et l'intelligence artificielle.

Optimiser par la conception intégrée

Les solutions pressenties par les concepteurs sont majoritairement élaborées au regard de leur expérience et de leur pratique associée, avec pour chaque contributeur un ensemble de propositions se limitant à son domaine d'expertise. C'est dans ce contexte que le concept de conception intégrée du bâtiment a été développé afin d'envisager d'optimiser la conception. Il est important de souligner ici la nécessaire prise en compte en amont des projets, d'un niveau de détail suffisant afin de sécuriser les choix et minimiser les correctifs dont les coûts augmentent exponentiellement avec l'avancement des phases.

La conception intégrée d'un bâtiment consiste à intégrer et faire interagir les paramètres interdépendants (choix, résultats, contraintes) de chaque contributeur (architecte, bureaux d'études) dans les phases de conception d'un projet. Depuis ces dernières années, cette démarche est favorisée par l'essor du BIM (building information modeling) et les travaux d'interopérabilité entre les outils et les données associées, mais aussi par de nouvelles méthodes contenues dans les programmes d'optimisation. La combinaison de cet ensemble permet d'envisager cette nouvelle approche de conception avec l'exploration d'un plus grand nombre de scénarios, selon des objectifs multiples et potentiellement contradictoires. On citera à ce sujet plusieurs programmes de recherche qui illustrent le développement de cette approche avec le soutien des pouvoirs publics : l'ANR Cosimphy, l'APR Renoir 1 et plus récemment le projet BEE 2.

L'exemple suivant est issu principalement du projet APR Renoir, lauréat d'un appel à projets de l'Ademe lancé en 2014. Ce programme a permis de disposer d'un financement pendant deux ans pour le développement d'un applicatif qui, à partir des données extraites de maquettes numériques, va identifier les scénarios optimums de rénovation énergétique, en fonction de la réglementation thermique et du coût global. Après une première opération test, cet applicatif est aujourd'hui fonctionnel et en déploiement en France et en Europe.

En réhabilitation, la recherche des scénarios optimums repose également sur l'exploration de nombreuses combinaisons possibles. Une méthode exhaustive, qui consisterait à tester chacune d'entre elles, serait inefficiente. En calculant l'ensemble des combinaisons on s'expose même à saisir et à calculer des scénarios absurdes.

Sur le projet Renoir et dans le cadre d'un programme de réhabilitation d'un petit collectif de seize logements, la combinaison de quelques variantes de composants (nature des matériaux, caractéristiques thermiques, épaisseurs) a conduit à 201 600 000 combinaisons possibles qui nécessiteraient, pour être totalement explorées, un temps total de calcul de plus de 300 ans. Avant l'intelligence artificielle il faut donc des choix raisonnables. L'enjeu consiste à dégager les scénarios les plus pertinents vis-à-vis des contraintes de l'opération et des exigences du maître d'ouvrage.

Afin de répondre à cet enjeu, la conception intégrée doit préalablement optimiser la récupération des données, une opération qui représente encore une part conséquente des temps d'étude. Sur ce point, les maquettes numériques favorisent une récupération centralisée de certaines de ces données. Sur le projet Renoir, elles ont alimenté en informations à la fois les études thermiques et les calculs en coût global.

Maquettes numériques et algorithmes génétiques

Néanmoins, des contraintes existent et limitent les potentialités de ces instruments : entre autres, la faible standardisation des données, le respect de règles de modélisation et de structuration des données. Par exemple, aucune base de données ne centralise les informations des produits concernant le coût, les caractéristiques techniques, les impacts environnementaux. Ces informations sont dispersées dans plusieurs bases, non interopérables et avec des mises à jour différenciées.

Des travaux existent et appuient l'émergence de standards pour la centralisation et la structuration des données. Ces initiatives doivent être encouragées afin que les maquettes numériques produites puissent pleinement assurer l'interopérabilité et une meilleure récupération des données.

Le bâtiment est un système complexe pour lequel le principe d'optimisation, emprunté aux mathématiques, n'est apparu que récemment grâce à l'essor des moyens informatiques et numériques. Les algorithmes d'optimisation, qui s'inspirent de théories issues de la biologie (Darwin par exemple), sont depuis de nombreuses années utilisés en recherche. Ces algorithmes, dits « génétiques », sont de plus en plus déployés dans les outils à destination des concepteurs. Ils permettent de faire converger les scénarios issus de la combinaison d'une ou plusieurs variantes vers les scénarios jugés optimums vis-à-vis des objectifs recherchés. Pour le projet Renoir, sur la base d'un premier tirage aléatoire d'individus (différents scénarios de conception possibles), l'algorithme va procéder à des sélections, reproductions, mutations entre les scénarios pendant un certain nombre de générations jusqu'à converger vers les solutions les plus optimales. Pour le projet de réhabilitation cité précédemment, l'optimisation a permis de dégager et calculer en automatique les 2 400 scénarios optimums parmi plus de 200 millions de combinaisons possibles en quelques dizaines d'heures sur ordinateur.

Il faut noter que les algorithmes génétiques intègrent des phénomènes aléatoires (mutations, croisements) afin de garantir une diversité des scénarios. Y sont également intégrées des règles métiers qualifiées d'« expertes » qui ont la capacité de récupérer les résultats issus des calculs pour procéder automatiquement à des modifications des règles de dimensionnement. Il s'agit, par exemple, de modifier la puissance du système de chauffage en fonction des déperditions du bâtiment liées à des choix de conception différents.

Perspectives

L'optimisation des performances sur des opérations de construction ou de rénovation représente un enjeu important dans un contexte réglementaire, économique et de marché toujours plus contraignant. Les algorithmes d'optimisation permettent l'identification des scénarios optimums. L'exploitation de leurs résultats doit cependant être associée à des méthodes complémentaires d'aide à la décision.

Les solutions techniques existent depuis plusieurs années (matériaux, systèmes) et le savoir-faire des acteurs permet leur mise en oeuvre. L'interaction des disciplines, le foisonnement de ces mêmes solutions (comment connaître et évaluer la pertinence de chacune d'entre elles ?), les contraintes de modélisation (pour les études analytiques, environ 70 à 80 % du temps d'ingénierie est consacré à la recherche et à la saisie des données) et les temps associés de plus en plus restreints rendent néanmoins l'optimisation d'un bâtiment systématiquement complexe et pas toujours efficiente.

C'est face à ce constat que le déploiement des outils numériques, associé à l'essor du BIM et de l'usage de la maquette numérique, représente une opportunité pour l'ensemble des acteurs de la filière. Si l'interopérabilité des données et des logiciels restent des enjeux structurants qu'il convient d'assurer dans les prochaines années, il n'en reste pas moins que des outils, programmes, démarches sont disponibles et permettent le déploiement d'une conception intégrée en faveur d'une véritable optimisation des performances des ouvrages.



  1. Réhabilitation énergétique optimisée et intégrée en logement collectif ; https://lasie.univ-larochelle.fr/2015-2017-RENOIR-ADEME-343.
  2. https://www.ademe.fr/bee.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-10/optimiser-la-performance-du-batiment.html?item_id=5712
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