Didier MIGNERY

Architecte, président d’UpFactor (www.upfactor.fr).

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Développer la surélévation

Solution originale pour développer des projets immobiliers tout en rénovant l’ancien sans consommation de foncier, la surélévation est une pratique ancienne, ancrée dans les paysages urbains. Elle peut aujourd’hui répondre aux besoins de rénovation du patrimoine et de création de logements dans les centres urbains. Contribuant à une densification soucieuse de l’environnement, la surélévation mérite d’être développée.

Les métropoles françaises font face à de nombreux défis, parmi lesquels la crise du logement, la lutte contre la pollution de l’air et le besoin de végétalisation. En outre, la crise sanitaire due à la Covid-19 a révélé le besoin de réinventer le bâti existant pour l’adapter aux nouveaux usages et aux nouvelles pratiques des habitants. La surélévation est une des solutions possibles à tous ces enjeux.

La surélévation, c’est la densification verticale, rationnelle et mesurée du bâti existant. Il s’agit, concrètement, d’ajouter un ou plusieurs étages à un bâtiment, bien souvent en milieu occupé. La surélévation agit par touches, sans excès, en concertation avec la préservation patrimoniale et les formes urbaines.

Les avantages de la surélévation sont nombreux : création de nouveaux mètres carrés, réduction de l’étalement urbain, développement de la végétalisation et protection de la biodiversité. En outre, la surélévation favorise la (re)naturalisation des villes grâce à l’usage des toitures et participe ainsi au projet « zéro artificialisation nette » promu par le gouvernement 1.

Histoire de la surélévation

Jusqu’à présent, on cherchait à construire toujours plus loin. Cela s’explique par le choix résidentiel des ménages et répond à leur demande de disposer d’un lieu de vie isolé du reste des espaces urbains denses. Il en découle un étalement urbain et des constructions qui s’étendent géographiquement.

Or, au regard de l’histoire des villes, la norme a longtemps été celle de la surélévation. Au Moyen Âge, les remparts et les murs qui les protégeaient empêchaient l’étalement urbain. Les villes se construisaient alors sur elles-mêmes avant d’aller chercher des terrains vierges plus loin. Comme l’écrit François Loyer, historien de l’art et de l’architecture: « Dans une ville dont les limites restaient fixées par l’éloignement des distances, au rythme de la marche à pied, le procédé primordial de densification restait la surélévation, dès que l’occupation des sols avait atteint ses limites. » 2

Des réglementations sur la hauteur des bâtiments existaient dès le XVIIe siècle, témoignant de la tendance à la surélévation du bâti. Par exemple, la place Dauphine à Paris, créée à cette époque, est composée d’immeubles ayant été surélevés plus d’une fois. Plusieurs facteurs expliquent cette préférence de la surélévation au fil des siècles, parmi lesquels l’évolution des réglementations en faveur de l’élévation du bâti et l’intérêt économique que confèrent de tels travaux.

L’augmentation de la demande de logements due à la croissance de la population a orienté les choix urbanistiques vers la surélévation. Grâce aux progrès techniques, ajouter des étages devient plus simple en raison des matériaux utilisés (bois, métal ou béton armé à partir de 1920).

Enfin, les évolutions urbanistiques et réglementaires furent aussi des accélérateurs de surélévation. L’exemple parisien est caractéristique, avec une évolution progressive et homogène des formes urbaines jusqu’à la fin du XIXe siècle, notamment pour les hauteurs verticales des façades. C’est à partir du règlement d’urbanisme de 1884 que les évolutions des parties supérieures, combles et toitures ont fait naître les premières disparités et problématiques de voisinage entre bâtiments construits à des époques distinctes.

La modification des profils autorisés en toiture (1884) puis la règle de hauteur proportionnelle à la largeur de la rue (1902) et l’arrivée massive de l’ascenseur vont conduire à un exhaussement massif des constructions. Durant la première moitié du XXe siècle, les bâtiments atteignent une hauteur maximum de 30 mètres, proche des 31 mètres habituellement observés de nos jours. Sur l’ensemble des permis de construire déposés entre 1876 et 1939 à Paris, 18 % concernent des surélévations, avec un pic à 23 % entre les deux guerres 3.

Les dépassements des plafonds de hauteur, caractéristiques du règlement de 1967, ont conduit à plus de démolitions que de surélévations à proprement parler, notamment via la liaison des hauteurs et des retraits par rapport à l’alignement de la rue.

Le plan d’occupation des sols (POS) de 1977 réinterroge le bâti existant et opère un retour à des formes urbaines plus homogènes, tout en limitant les constructions par un coefficient d’occupation du sol (COS) adapté aux tissus constitués. Le plan local d’urbanisme (PLU) de 2006 prolonge ce retour à la ville et au paysage urbain constitué en privilégiant les gabarits contrôlés issus du tissu existant et un zonage simplifié où le COS est généralement de 3 (la surface constructible équivaut à trois fois la surface de la parcelle). C’est avec la suppression du COS en 2014 et la loi Alur, augmentées de dérogations possibles en adossement d’immeubles mitoyens plus élevés, que la surélévation redevient une opportunité pour beaucoup de propriétaires, notamment à Paris.

Les travaux visant à la révision du règlement parisien pour un « PLU bioclimatique » s’intéressent de près à ce mouvement croissant de la transformation des toitures. Il serait inconcevable de ne pas considérer, au même titre que la rue, ce territoire qu’est le toit, quasi « monofonctionnel » et principal échangeur thermique avec les usages urbains. Aller plus loin dans l’obligation de végétaliser les toits, dans l’intégration de systèmes de production d’énergies renouvelables et de leurs usages mixtes, publics et privés, sont autant de pistes à développer.

Les freins à la surélévation

L’une des problématiques limitant la surélévation du bâti existant réside dans le mode de détention des immeubles. La plupart des projets sont effectivement portés par des mono-propriétaires. Mais avec environ 28 % des logements en copropriété, taux bien plus prononcés dans les grandes villes, les barrières à la surélévation sont importantes.

Les évolutions juridiques ont assoupli les règles en transformant le droit de veto de certains copropriétaires en droit de priorité et en abaissant les majorités en zone de préemption urbaine. De là sont nés les premiers projets de surélévation perçus d’abord comme une aubaine financière avant d’apparaître comme une source de financement de la rénovation globale en copropriété.

Au-delà des freins administratifs et juridiques, il convient, pour faciliter l’acceptation du principe de la surélévation, de changer les représentations. La densification n’est pas synonyme de proximité, de compacité à tout prix. Densifier n’est pas suroccuper, bétonner ou construire des immeubles de grande hauteur, mais optimiser l’espace qui est à notre portée.

La densité elle-même est un concept discuté. Si l’on évoque la densité de la population ou d’une métropole, il ne s’agit pas d’une densité subjective, vécue par les citadins. C’est dire qu’une forte densité d’habitants ne signifie pas de grandes interactions entre les personnes. Naturellement, penser la densité aujourd’hui oriente la réflexion vers la question de la salubrité et en particulier celle de la diffusion des maladies. L’épidémie de la Covid-19 questionne la densité du bâti et sa propension à diffuser un virus. On observe cependant que des villes comme Hongkong ou Singapour ont réussi à contenir la propagation de l’épidémie malgré leur forte densité au prix d’efforts de distanciation et de contrôle importants. À l’inverse, dans des grandes villes chinoises et américaines ou dans des petits villages du nord de l’Italie, partout où le phénomène n’a pas été pris au sérieux, des clusters virulents sont apparus 4.

Voilà pourquoi il ne faut pas faire le procès mécanique de la densification et a fortiori celui de la surélévation.

La rénovation globale par la surélévation

La surélévation n’est pas un marché de niche. Il existe tout un espace urbain non exploité et pourtant à notre disposition pour servir divers objectifs essentiels à la vie urbaine tels que la création de nouveaux logements, la rénovation énergétique des bâtiments ou l’aménagement de toitures végétalisées.

C’est pourquoi la revalorisation du secteur de la copropriété aux yeux des promoteurs est indispensable à la réalisation de ces objectifs. Longtemps boudés par les investisseurs et les architectes, car complexes et chronophages, les projets en copropriété se limitent souvent à des travaux mineurs tels que des ravalements de façade. Ce manque de considération est désormais révolu avec la rénovation par la surélévation, source d’innovation et de création architecturale.

Le financement de la rénovation énergétique est à ce jour très complexe. D’un côté, peu d’acteurs bancaires capables d’octroyer des prêts collectifs permettant l’étalement de l’effort financier d’une rénovation lourde et performante. De l’autre, des dispositifs d’aide généralement individualisés, liés aux revenus des propriétaires, attractifs pour certains mais dont l’impact est difficile à mesurer.
Or, partout où cela est possible, valoriser le bien commun d’une copropriété en exploitant un droit à bâtir résiduel peut apporter une aide essentielle au lancement d’un programme de rénovation globale.


Une approche globale


Un des projets d’UpFactor, à Lyon, pour le compte de la régie Franchet, consiste à accompagner une copropriété dans une démarche globale de rénovation par la surélévation.
Celle-ci permet l’autofinancement des travaux, la réduction des besoins de chauffage, l’amélioration du confort et la revalorisation de l’image du bâtiment en l’inscrivant dans son environnement. La démarche est encore innovante et semée d’embûches, mais le principal est lancé.
De manière plus générale, certaines municipalités ont inscrit l’opportunité de la surélévation dans leurs documents d’urbanisme en accompagnement de la rénovation globale et énergétique.

C’est le cas de Tignes, en Savoie, qui doit faire face au vieillissement de son parc immobilier et à des défis tels que la nécessaire réduction des consommations de chauffage, majoritairement au fioul. Tout cela dans des conditions climatiques extrêmes.


Projet de surélévation à Tignes


Dans ce contexte, UpFactor accompagne deux copropriétés gérées par Foncia Bourg-Saint-Maurice dans leurs projets de rénovation globale et de valorisation par la création de 1 200 m² en surélévation. L’attractivité touristique de la station et l’emplacement exceptionnel des immeubles permettent d’envisager un projet global intégrant d’importants travaux de rénovation et d’isolation afin d’obtenir le label bâtiment basse consommation (BBC). L’opération contient aussi une réhabilitation des espaces communs et l’installation d’ascenseurs. L’enjeu est d’inscrire le bâti existant dans la veine des logements neufs RT 2012 créés en toiture, en investissant la plus-value dégagée grâce à la valorisation des économies d’énergie. Une expérimentation sera même envisagée en intégrant une source de production d’énergie renouvelable avec des garde-corps photovoltaïques sur des façades des loggias de la surélévation.

Passer de l’expérimentation à la généralisation

L’accès à la smart data permet aujourd’hui de construire automatiquement une donnée jusqu’alors inédite: la mesure du foncier aérien 5. Cette technologie parvient à reconstituer en 3D la morphologie des bâtiments existants. Croisée avec la donnée réglementaire, elle peut valider, en un clic, un potentiel de surélévation sur une adresse donnée. Grâce à une identification rapide à grande échelle, le projet est accéléré et devient une opportunité d’agir.

La moitié des 9,7 millions de logements en copropriété en France et des 4,6 millions de logements sociaux se trouvent dans des zones urbaines tendues, propices à la surélévation. Notre expertise logicielle et métier nous permet d’affirmer qu’au moins 2 % des résidences sont aptes à la surélévation. Nous pouvons ainsi créer au minimum 40000 nouveaux logements pour 8000 projets de construction.

Fers de lance de la croissance française, le bâtiment et l’immobilier vont être significativement impactés dans les prochaines années. En outre, les nouveaux maires écologistes portés au pouvoir dans plusieurs grandes villes françaises témoignent de l’aspiration des citadins à des aménagements plus « verts ». Partout s’annoncent des politiques urbaines en faveur de la biodiversité. Promouvoir de nouveaux modèles est donc une nécessité. En cela, la surélévation et son modèle vertueux pour l’économie permettent de répondre à ce défi en intégrant une large chaîne d’acteurs, de la détection jusqu’à la réalisation des projets, en instituant un partage équilibré des coûts et des gains.

La création d’emplois locaux non délocalisables est également favorisée par la fabrication des équipements et leur distribution. Cette démarche se poursuit jusqu’à la construction des nouvelles surfaces en faisant la promotion de la construction hors site, modulaire et fabriquée en France. En suivant une procédure systématique qui garantit la durée, les coûts et la qualité des travaux sans uniformiser les formes, le sur-mesure abordable permettra de concilier travaux et milieu occupé.

Partage de l’espace, partage des charges, partage des gains, tel est le triptyque propre à la surélévation que porte UpFactor pour les copropriétés et les bailleurs sociaux. Promouvoir le foncier aérien et les toits pour rendre la totalité de l’espace urbain habitable et accessible au plus grand nombre: c’est notre ambition.


  1. Voir les articles abordant ce thème dans cette livraison de Constructif.
  2. François Loyer, Paris XIXe siècle : l’immeuble et la rue, éditions Hazan, 1987, p. 54.
  3. Voir l’étude de l’Apur, « Incidence de la loi Alur sur l’évolution du bâti parisien », 2014 (www.apur.org/sites/default/files/documents/incidences_evolution_loi_ALUR_bati_parisien.pdf).
  4. Voir, sur ces sujets, les travaux du think tank urbain la Fabrique de la cité (www.lafabriquedelacite.com).
  5. Voir l’outil numérique novateur que nous développons, Upfactor Geoservices® (https://upfactor.fr/services/)
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2020-10/developper-la-surelevation.html?item_id=5760
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