Christian ECKERT

est député socialiste de la Meurthe-et-Moselle et rapporteur général du Budget à l'Assemblée nationale).

Olivier CARRÉ

est député UMP du Loiret, membre de la Commission des finances à l'Assemblée nationale et secrétaire national de l'UMP responsable de la stratégie économique.

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Quelle fiscalité immobilière demain ?

Christian Eckert.

L'effort public en faveur du logement est de l'ordre de 40 milliards d'euros par an, chiffre qui n'a guère évolué ces dernières années. En réaction à la deuxième table ronde, je m'inscris en faux contre l'idée que l'immobilier aurait détourné l'investissement de l'industrie : je ne pense pas que l'on puisse dire que le logement est responsable d'un tel détournement. En revanche, l'accroissement de la part des dépenses des ménages dans le logement a rendu impossible une stabilisation des revenus, et cela peut être un des facteurs du défaut de compétitivité des entreprises françaises.

Olivier Carré.

Il faut également signaler que le problème de compétitivité touche aussi les entreprises du bâtiment par le biais de la concurrence européenne illégale ou déloyale qui remporte néanmoins certains appels d'offre. La perte de compétitivité n'est donc pas un handicap généré par le bâtiment, qui est lui-même un secteur touché par cette difficulté.

Serge Petiot (président de la Commission fiscale de la FFB).

Comment fait-on pour augmenter l'offre de foncier si l'impôt est confiscatoire à court terme ? Pourquoi ne pas alourdir la fiscalité en fonction du temps de détention des terrains à bâtir ?

Christian Eckert.

Je reste assez opposé à la mesure temporaire qui consistait en un abattement supplémentaire de 20 % sur les plus-values immobilières, car il faut prendre en compte la diversité des situations en France. On ne peut exclure le risque d'effets d'aubaine dans les zones dites « non tendues », qui occasionnerait d'importantes pertes de recettes pour l'État, qui plus est non justifiées, dans un contexte de volonté de réduction des dépenses publiques. Par ailleurs, des mesures à moyen terme concernant les terrains à bâtir, qui seront proposées lors de la prochaine loi de finances, devraient permettre de créer le choc d'offre attendu.

Olivier Carré.

Il ne faut tout de même pas oublier que, dès lors que l'on a une fiscalité très élevée, les recettes pour l'État deviennent nulles. Par ailleurs, si une fiscalité confiscatoire sur les terrains à bâtir devait voir le jour, une période de franchise serait nécessaire afin de créer la possibilité pour les opérateurs de dégeler du foncier, et faire en sorte que l'apparition d'un tel stock de terrains permette d'envisager des opérations à moyen terme (cinq à dix ans).

Serge Petiot.

Depuis 2011, la fiscalité sur les plus-values ne cesse d'augmenter pour les immeubles bâtis, avec un barème qui traduit des préoccupations plus budgétaires qu'économiques. Cette fiscalité n'est-elle pas devenue dissuasive ?

Olivier Carré.

La fiscalité sur les droits de mutation nourrit les recettes des conseils généraux. Il convient donc de trouver l'étroit chemin qui permet d'assurer le financement de ces collectivités locales, tout en évitant le risque de gel du marché provoqué par une fiscalité accrue.

Christian Eckert.

C'est une question fondamentale. Le durcissement de la fiscalité sur les plus-values immobilières a été amorcé en 2011, bien avant que j'accède à mon poste actuel.

Sachez que j'entends très souvent dire aussi que la fiscalité sur l'immobilier est trop favorable, car les plus-values n'y sont plus prises en compte au bout de trente ans, ce qui n'est pas le cas des plus-values sur les valeurs mobilières.

Il ne doit pas y avoir une concurrence entre le financement du logement et celui de l'industrie, mais un équilibre. La Caisse des dépôts et la Banque publique d'investissement ont un rôle important à jouer dans cette question de la répartition du financement de l'économie.

Élisabeth Detry (vice-présidente du Conseil national de l'artisanat de la FFB).

En ce qui concerne les travaux de rénovation énergétique, d'un côté le gouvernement vise les 500 000 logements réhabilités chaque année et de l'autre, il alourdit le taux de TVA en le faisant passer à 10 %. Il est vrai que, dans un même temps, les médias bruissent de l'annonce imminente d'un grand plan. Que faut-il en penser ?

Christian Eckert.

Il ne faut pas oublier que les entreprises du bâtiment ne sont que collectrices de la TVA et non bénéficiaires, ni payeuses. Vos clients viennent effectivement de subir une hausse de la TVA sur la construction de 5,5 % à 7 %, et l'on s'apprête à l'élever à 10 %. Je défends l'idée selon laquelle cette seconde marche doit être réduite à 9 % sur l'ensemble des travaux de rénovation.

J'ai aussi proposé une TVA abaissée à 5 % pour les travaux liés à la transition énergétique, aux économies d'énergie, à la modernisation des logements anciens. Pour contrebalancer cette perte de ressources, je suggère un passage du taux normal de TVA de 20 % à 20,5 %, sujet qui est actuellement en pleine discussion et négociation.

Enfin, pour le logement social, il semble évident que la TVA passera de 7 % à 5 %, et non pas à 10 %, ce qui représentera une perte de l'ordre de 600 millions d'euros pour le budget de l'État.

Olivier Carré.

Je suis très favorable à ce qu'une distinction soit faite, par le biais d'une TVA réduite à 5 %, entre le logement social et la rénovation thermique, d'une part, et le reste, d'autre part.

Il n'y a cependant pas que la TVA à prendre en compte pour inciter aux travaux. Je ne pense pas qu'il y ait eu une réelle modification des outils mis à disposition pour favoriser les travaux de rénovation. Il faut offrir plus de moyens, notamment aux collectivités territoriales, via des aides à la pierre.

Dominique De Sauza (président de l'Union des constructeurs immobiliers de la FFB).

Aujourd'hui, la nouvelle formule du PTZ+ aide les ménages les plus modestes à accéder à leur premier logement dans le neuf. Que peut-on envisager pour les classes moyennes ?

Olivier Carré.

Je me réjouis des chiffres présentés lors de la première table ronde par Michel Mouillart, car une énorme étape a été franchie en matière d'accession sociale. Dans les années 1970-1980, les ménages accédants disposant de revenus inférieurs à trois fois le SMIC représentaient de 35 % à 40 % de l'ensemble, contre 50 % aujourd'hui. Je pense d'ailleurs que le PTZ dans l'ancien a contribué fortement à cette évolution et a eu un effet immédiat. C'est pourquoi je suis pour un rétablissement du PTZ+ dans l'ancien, notamment parce qu'il encourage les travaux de performance énergétique. En effet, je pense que ce sont les jeunes ménages qui sont prêts à s'engager dans des travaux de rénovation lourds, nécessitant des engagements sur une longue durée. Ce type de dispositif ne coûte pas aussi cher qu'on le dit souvent, car il permet en contrepartie de créer de l'activité.

Christian Eckert.

Je ne me prononcerai pas sur les effets inflationnistes ou pas des aides, mais c'est un sujet qui mérite réflexion. La modification de l'éligibilité au PTZ+ a un coût non négligeable, qui rend difficile la réinstauration du PTZ+ dans l'ancien.

Je m'interroge quant à la nécessité d'encourager l'accession à la propriété. La question sous-jacente est de savoir si une France de propriétaires-occupants permettrait d'observer des prix moins élevés et surtout un rééquilibrage du marché entre l'offre et la demande, car la cause principale du renchérissement réside bien aujourd'hui dans ce déséquilibre.

Hugues Vanel (président de la Commission économique de la FFB).

En ce qui concerne le logement social, je ne comprends pas bien comment concilier la construction de 150 000 unités par an avec une augmentation de 7 % à 10 % de la TVA sur ce marché.

Christian Eckert.

Si un secteur doit bénéficier du taux de TVA réduit de 5 %, c'est bien celui de la construction HLM. Pour moi, c'est une évidence qu'une telle mesure sera mise en application à partir du 1er janvier 2014. Si la décision n'a pas été prise dès la loi de finances pour 2013, c'était pour éviter une kyrielle d'amendements rejetant le principe d'une exception accordée au secteur de la construction sociale.

D'autres éléments de blocage pèsent, par ailleurs, sur le financement de logements sociaux. Le 1 % logement, par exemple, est toujours dans l'attente du déblocage d'un emprunt d'un milliard d'euros par an, sur trois ans, auprès de la Caisse des dépôts et consignations. L'argent est disponible, il ne reste qu'à convenir des modalités pour débloquer la situation.

Olivier Carré.

La construction de logements sociaux ne se fait pas forcément indépendamment d'une opération immobilière. Le principal frein au lancement des programmes de logements sociaux reste la valorisation du foncier, et donc la nécessité de disposer d'un terrain suffisamment bon marché. C'est donc la contrainte économique qui empêche, ou tout du moins limite, la construction de logements HLM, ce qui est source de problèmes sociétaux. Il y a actuellement une rétractation de la promotion, des difficultés de financement et de déclenchement des opérations.

Gaston Coppin (président du Centre national de l'expertise de l'enveloppe et de la structure).

En France, pour stimuler l'investissement locatif privé, on empile des dispositifs fiscaux dérogatoires. Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à un régime de droit commun adapté ?

Olivier Carré.

Certes, l'aspect fiscal pèse dans les décisions, mais il faut tenir compte d'autres éléments tels que les réglementations en matière d'urbanisme, ou encore de droit du locataire. Ce dernier est actuellement disproportionné au regard du risque locatif. Si l'on va vers la garantie universelle locative, il faut que l'on permette aux propriétaires en situation de difficultés avec un locataire d'avoir des voies beaucoup plus coercitives. Il faut donc renforcer le droit du bailleur de manière à rééquilibrer le rapport entre bailleur et locataire. La perception du risque est un élément majeur dans la chaîne.

Christian Eckert.

La fiscalité sur les revenus locatifs privés me semble convenable dans le sens où il existe un certain nombre de postes déductibles. Je suis par ailleurs en accord avec l'accumulation de dispositifs d'incitation, mais de façon ciblée. Il est ainsi nécessaire de disposer de zonages bien pensés pour éviter les effets d'aubaine. Il faut faire attention aux dispositifs trop larges.

Olivier Carré.

Il me semble important de signaler que, si le bâtiment ne se porte pas bien, bon nombre de possibilités perdurent, qui peuvent toutefois être freinées par une réglementation excessive.

Pour permettre de sortir de la crise du logement, il est nécessaire d'avoir une vision globale du système, et pas seulement segment de marché par segment de marché. Un rééquilibrage de la situation, c'est-à-dire un meilleur fléchage des aides publiques vers les ménages qui en ont le plus besoin (il faut rappeler que 2 % du PIB est dépensé en aides publiques au logement, soit deux fois plus que la plupart des pays de l'OCDE), permettrait de fluidifier le marché, et donc de favoriser la mobilité, ou tout du moins de ne pas l'entraver.

Christian Eckert.

La question du logement se pose de manière très inégale d'un point de vue géographique et d'un point de vue social. Par ailleurs, de nombreuses inefficacités économiques perdurent dans les dispositifs actuels et nous tentons de les corriger.

D'autres points pourraient eux aussi être revus : on pourrait ainsi remonter systématiquement les PLU à l'échelle intercommunale, ce qui permettrait notamment de limiter les situations de conflits d'intérêts, mais surtout limiterait l'éparpillement des décideurs. La question des normes, qui pèsent sur les coûts et compliquent parfois les travaux, et surtout de leur nécessité, peut aussi être discutée.

Il semble véritablement essentiel de revoir périodiquement les zonages, en lien avec des observatoires de prix de marché. La sécurisation des propriétaires bailleurs est aussi primordiale, et la prochaine loi Duflot 2 va dans ce sens. Enfin, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, preuve que les décideurs sont conscients de la situation difficile du secteur, devrait générer 2 milliards d'euros par an qui reviendraient au secteur du bâtiment.

Je ne découvre pas que le bâtiment a des difficultés. Faisons tous en sorte qu'à travers des mesures législatives et réglementaires bien ajustées, nous donnions des perspectives moins moroses au secteur.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-6/quelle-fiscalite-immobiliere-demain.html?item_id=3322
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