est délégué pour Paris de l’association Cédants et Repreneurs d’Affaires (CRA) et ancien chef d'entreprise du Bâtiment.
Des freins de tous ordres
Le dirigeant de PME, patron omniprésent, est un animal curieux ! à
l’occasion de sondages réalisés auprès
des chefs d’entreprise de plus de cinquante ans, 75 % des
interrogés affirment que leur première préoccupation est la pérennité de
leur entreprise et 60 % déclarent qu’ils vont établir un programme de
préparation pour la transmission. Et, en réalité, seulement 10 % ont
pris des mesures concrètes !
Nous avons pu établir plusieurs profils de patrons, attachés à la barre, et pour lesquels nous pressentons que, passé l’âge de 65 ans, rien ne pourra les convaincre et qu’ils ne transmettront jamais.
La crainte du jugement d’autrui
Le premier est l’entrepreneur créateur de son entreprise, qui s’est souvent formé lui-même au fil des ans, autodidacte, et qui a privilégié le développement technologique de son activité.
Souvent issu de l’artisanat et du savoir-faire, son potentiel commercial est important en fonction de spécificités uniques. Encore faut-il savoir l’exploiter, ce qui n’est pas souvent le talent de notre homme. Alors qu’il existe souvent dans ces entreprises « des pépites » qui pourraient être largement valorisées lors de la transmission, le fait de privilégier la maîtrise du métier, renvoie parfois une image obsolète.
Le chef d’entreprise redoute alors le jugement d’autrui : son entreprise n’est pas assez « moderne », elle est rentable mais sans savoir pourquoi, les « tracasseries sociales et administratives » représentent son enfer quotidien, et il ne comprend pas comment il pourrait transmettre… cet enfer.
Former au métier est son seul but, et paradoxalement l’image de la jeunesse le séduit transmettre… son savoir, oui !… une entité économique… bof ! La valorisation économique est pour lui une notion totalement abstraite : prêt à céder quasi gratuitement à un pair, il multipliera le prix par cinq ou par dix, toujours pour ne pas perdre la face, s’il s’agit d’un étranger.
Si notre homme pouvait savoir qu’à peu de frais, avec un site Internet bien fait, il pourrait être connu, aimé, respecté à l’autre bout du monde, peut-être le problème de la succession prendrait-il un autre visage ?
La difficulté à « lâcher» la barre
Laissons « Le vieil homme et la mer » pour passer au « Hollandais volant ».
Celui-là n’arrêtera jamais. Capitaine de navire, il n’aime rien tant que les écueils, la tempête et les océans nouveaux. Très souvent ce sont de belles PME avec un équipage de première qualité.
Mais très vite, nous nous apercevons que l’affaire n’ira pas plus loin. Les exigences sur le candidat, le besoin affirmé de conserver un rôle majeur dans la direction de l’entreprise, le refus de garantie de certains éléments lors des audits rendront impossible toute transaction, et notre homme repartira.
Le drame, en termes de perte d’emplois tout au moins, est que souvent le naufrage peut être brutal, car accidentel : investissements mal rentabilisés, pertes soudaines de clients importants, litiges commerciaux, arrêt immédiat pour raison de santé. Il existe souvent une corrélation entre ce type d’entrepreneurs et la possibilité d’échouage.
Le souci de l’image de l’entreprise
Autre type enfin, proche de celui-ci, le séducteur.
Toute sa vie n’a eu qu’un but… séduire. N’y voyons pas un côté réducteur, nombre d’entreprises qui se sont développées pour dépasser le stade de la PME sont issues d’un créateur de ce type. Ce n’est pas non plus forcément le cas d’un ego forcené, ce groupe comprend autant de personnages médiatiques, quelle que soit leur sphère d’activité, que d’entrepreneurs restant dans un anonymat voulu.
Son adrénaline, c’est l’image que présente son entreprise au monde extérieur, celle de la réussite. L’inquiétude, pour ce chef d’entreprise, est qu’une transmission, qu’elle soit familiale ou extérieure, puisse en quoi que ce soit ternir cette image, ou l’amoindrir pour des motifs purement économiques.
Si d’aventure nous croisons un tel chef d’entreprise, l’opération achoppera en général sur un prix de cession exorbitant et irréaliste. L’argent n’est pas forcément un facteur essentiel : notre homme veut s’entendre dire avant tout que son entreprise est la plus belle. En revanche, l’opération pourra réussir si celui-ci est à son tour séduit.
C’est une constante de la mise en rapport entre cédants et repreneurs : le premier contact, le premier rendez-vous donne lieu aussi bien à des rejets irrévocables qu’à des fusions quasi-filiales. Tous les obstacles psychologiques liés à la transmission peuvent tomber instantanément, la valeur de cession devient secondaire pour le cédant qui découvre dans l’autre un renouveau, une renaissance.
Le frein de la fiscalité
Ne négligeons pas non plus le rôle (en particulier au plan fiscal) des pouvoirs publics dans le refus de préparer la transmission. Le patron de PME est un mal-aimé. Alors qu’il assume des risques sur son patrimoine propre, on lui demande également d’être la « vache à lait » fiscale de la Nation. Or, il a souvent créé son entreprise il y a vingt ans ou plus avec des fonds très restreints et conservé les bénéfices dans l’entreprise pour en assurer le développement. Alors que toute imposition des plus-values immobilières est supprimée au-delà de quinze ans de détention, notre entrepreneur se verra instantanément privé lors de la cession, de 27 % du montant au titre de la plus-value de cession.
Si la transaction est de quelque importance, il supportera également chaque année un prélèvement voisin de 1 %, au titre de l’ISF. Les travaux préalables à la
loi Dutreil avaient évoqué cette anomalie, ce problème a été à nouveau abordé par les commissions de travail de la future loi Jacob. Rien n’a été conclu.
L’observatoire qu’est le CRA peut attester combien cette erreur fiscale freine la décision de transmission. Un progrès a été réalisé dans le domaine de la donation, souhaitons que le même soit réalisé, ne fut-ce que par un abattement proportionnel au temps de détention de l’entreprise. En cas de transmission externe, cela supprimerait pour bien des chefs d’entreprise ce sentiment, justifié ou non : Transmission = Abandon + Spoliation
Le difficile financement de la formation
Le budget de la formation dans les PME constitue enfin l’un des freins les plus importants à la transmission. Rares sont les entreprises qui consacrent à leur plan formation un budget supérieur au minimum légal, celui-ci étant encore amputé de contributions obligatoires.
Comment, alors, pour l’entrepreneur économe et parcimonieux, inclure un poste relatif au passage de relais, alors qu’il peine déjà à couvrir les besoins immédiats des fonctions techniques ? C’est pourtant dans ce domaine que réside la solution, indépendamment de la personnalité propre à chaque patron.
Le CRA a mis sur pied, depuis plusieurs années, une formation spécifique pour repreneurs qui rencontre un grand succès partout en France. La formation dispensée par l’école des Jeunes Dirigeants du Bâtiment est un autre exemple, trop rare, dans ce domaine1. Or, le besoin de formation concerne – transmission familiale comme transmission externe – au minimum la moitié des futurs repreneurs.
Un budget national spécifique, qui pourrait être estimé à 25 millions d’euros annuellement, serait souhaitable pour améliorer et sécuriser la transmission d’entreprise et ainsi développer l’emploi de façon durable…
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-2/des-freins-de-tous-ordres.html?item_id=2616
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