Associer les métropoles
La nouvelle organisation spatiale se caractérise par une concentration des pôles urbains majeurs, reliés entre eux, et, à l'échelle locale, par le développement d'espaces multipolaires formant réseau. D'où l'importance pour la France de disposer d'une armature de quelques villes de dimension européenne agissant comme de véritables pôles de développement.
Jusqu'aux Trente Glorieuses, on a assisté à l'avènement de l'État-nation. Puis le progrès, l'émergence des nouvelles technologies, l'accélération des échanges ont conduit au développement d'un phénomène de mondialisation entraînant l'affaiblissement des États au profit des villes. Ce nouveau format historique bouleverse nos rapports au monde, au temps, à l'espace, à la nature et change la donne géostratégique. Aujourd'hui, la planète est en voie de réorganisation autour de nœuds métropolitains gigantesques. La nouvelle organisation spatiale va, d'une part, vers une concentration des pôles urbains majeurs, reliés entre eux, et, d'autre part, à l'échelle locale, vers des espaces multipolaires formant réseau.
Les enjeux du rayonnement
Dans cette configuration, la question du rayonnement d'une ville ou d'une métropole passe :
- d'abord, par la compétition avec, dans un premier temps, la nécessité de l'intégration de la métropole dans un réseau à l'échelle continentale ou mondiale et, dans un second temps, le passage d'un niveau d'intégration à un autre dans la hiérarchie des métropoles ;
- ensuite, par l'organisation, sur le territoire métropolitain, d'un espace multipolaire reliant les différentes agglomérations qui le composent, dans le but de renforcer l'attractivité globale et le potentiel de chacune, mais également d'assurer une plus grande solidarité entre les territoires.
Immanquablement, les villes se retrouvent donc à la fois dans une logique de compétition et de mise en réseau. Quant à la compétitivité des pays, elle est inévitablement liée à celle de leurs grandes métropoles.
« Associer les métropoles » revêt finalement deux sens : les associer en réseau à l'échelle mondiale pour porter l'expertise des villes sur la scène internationale face aux grands enjeux du XXIe siècle ; les associer également, au sein d'un même État - et là, je pense au contexte institutionnel français - pour que puissent émerger de vrais pôles métropolitains, moteurs des pays dans la compétition internationale.
Les métropoles en « coopétition »
Je me suis particulièrement intéressé à la notion de Michael Parkinson alliant coopération et compétition 1, qui veut qu'une ville se développe sans que ce soit au détriment d'une autre.
Je dirais même que dans les grands réseaux de villes, à l'instar d'Eurocities ou des CGLU (Cités et gouvernements locaux unis) dont Lyon est membre à part entière, la compétition est plutôt ressentie comme une incitation permanente à se réinventer et à se développer. C'est cet esprit de « coopétition » qui, sur une thématique précise, contribue à accroître la compétitivité de chacune des métropoles et à renforcer le poids de l'ensemble sur la scène mondiale.
Pierre Veltz 2 a développé le concept de « ville globale ». Pour lui, et je partage largement son point de vue, l'économie mondialisée est en fait une économie d'archipel, c'est-à-dire qu'elle ne correspond pas aux États, mais aux nœuds où se concentrent la matière grise et les flux, qu'ils soient physiques - aéroport, TGV - ou bien virtuels - Internet - et que c'est là que se concentre la compétitivité économique. La force de nos territoires se trouve donc aussi dans cette capacité qu'ils ont à nouer en leur sein des collaborations, à agréger l'ensemble de leurs forces vives autour d'un objectif commun. Ils sont l'échelle propice pour susciter à la fois initiatives individuelles et intelligence collective.
Le rôle des collectivités dans le développement durable
Cela est vrai en matière d'innovation et de recherche, qui sont, nous le savons bien, les facteurs clés de différenciation à l'échelle mondiale. Mais ça l'est aussi dans bien d'autres domaines. Dès qu'il s'agit du développement durable, par exemple. Et le sommet de Copenhague en a été particulièrement symptomatique. Si le texte adopté à cette occasion a démontré une difficulté des gouvernements à aboutir à une vision partagée de la lutte contre le réchauffement climatique, on a tout de même assisté à l'émergence d'un nouvel état d'esprit : celui de la mobilisation de l'échelon local dans l'effort mondial de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Car si l'enjeu écologique est planétaire, il concerne là encore en premier lieu les villes. Si elles sont en partie à la source du problème, elles sont également les lieux où peuvent s'élaborer concrètement les solutions et s'inventer une nouvelle urbanité à l'aube du XXIe siècle.
En effet, ce sont bien les métropoles qui définissent et gèrent les politiques d'urbanisme, de logement ou de mobilité permettant de limiter l'étalement urbain ainsi que de réduire l'impact des transports et de l'habitat sur le réchauffement climatique. C'est pourquoi il serait irréaliste de penser que les objectifs de l'Union européenne (à savoir, réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d'énergie et porter à 20 % la part d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'ici à 2020) pourraient être atteints sans l'implication des collectivités locales.
Ainsi, en 2008, les villes membres du réseau Eurocities avaient-elles déjà décidé de défendre ensemble cette position et signé à Lyon, la « déclaration Eurocities des maires sur le changement climatique ». Ce qui nous a permis depuis - comme on l'a vu à Copenhague - de fédérer et de diffuser nos actions, mais aussi de mettre en commun nos réflexions et nos meilleures pratiques. Cette initiative a d'ailleurs été amplifiée par la Commission européenne au travers du Covenant of Mayors, désormais rallié par d'autres villes non européennes.
Se pose alors la question des moyens dont disposent les territoires français pour mettre en œuvre ces politiques. Une évaluation du Grenelle de l'environnement menée par le cabinet BCG estime à 100 milliards d'euros le coût que les collectivités locales auraient à supporter si nous mettions en œuvre l'ensemble des mesures prévues. L'État, quant à lui, nous y aiderait à hauteur de milliards d'euros seulement.
Je pense aussi à la réforme de la taxe professionnelle, qui risque de distendre fortement le lien entre nos territoires et nos entreprises, notamment nos grandes industries. En ces temps où, comme je le disais, l'heure est à la mobilisation générale pour préserver la compétitivité de notre pays dans la nouvelle donne économique mondiale, je ne peux qu'être inquiet de la voie choisie par le gouvernement.
Ouvrir la voie de l'excellence à nos territoires
C'est une conception très centralisatrice de l'État qui semble aujourd'hui sous-tendre l'action du président de la République, pour qui l'efficacité de l'action publique doit passer par une centralisation des décisions. Cette vision pyramidale avec, d'une part, la planète, d'autre part, l'Europe puis la nation et, enfin, le local est aujourd'hui datée. Car la grande révolution, c'est désormais, comme je l'expliquais, de savoir s'inscrire dans un monde de réseaux.
Les politiques gouvernementales actuelles constituent un recul net face à la décentralisation, à ses acquis démocratiques et un coup d'arrêt au développement des territoires, porteurs de croissance pour tout le pays. En tant que sénateur, mais aussi que président du Grand Lyon et de l'Association des communautés urbaines de France, je me suis donc engagé avec vigueur dans les débats autour de la réforme du territoire français.
Je défends depuis longtemps une vision à la fois pragmatique et ambitieuse du territoire national autour d'une armature urbaine constituée de quelques villes de dimension européenne agissant comme de véritables pôles de développement et irriguant leurs territoires ruraux limitrophes.
C'est en effet à une échelle de 2 à 3 millions d'habitants que se joue aujourd'hui la compétition internationale entre les grandes agglomérations, qui souhaitent devenir les futurs centres d'innovation et d'intelligence économique. C'est la condition indispensable à leur visibilité et à leur attractivité, à leur capacité à accueillir et à garder les entreprises créatrices de richesse et d'emplois.
Aujourd'hui, la France a besoin de trois ou quatre de ces métropoles d'intérêt européen, que j'appelle les MIEU. Aux côtés de ces MIEU, il s'agit de favoriser l'émergence de MIN, métropoles d'intérêt national, de véritables capitales régionales qui se situeraient sous un seuil d'environ 400 000 habitants. Cette nouvelle organisation a également besoin des communes, qui doivent conserver un rôle de proximité auprès des citoyens ; mais aussi des départements dans les zones rurales pour assurer le lien social et le rôle indispensable de chef de file.
La réforme des institutions françaises doit donc s'adapter à la diversité des territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux, si l'on veut que la France joue un rôle essentiel dans l'économie mondialisée. Le Sénat a voté, le 5 février dernier, en première lecture, le projet de loi sur la réforme territoriale. J'ai obtenu à cette occasion, par la voie du travail parlementaire, de nombreuses améliorations du texte initial. Les débats ont notamment permis la création du pôle métropolitain, qui répond à la nécessité d'un statut adapté à ces métropoles de dimension européenne que j'appelle de mes vœux.
Basé sur le volontariat et la coopération entre les différentes agglomérations qui le composent, le pôle devra mener des actions en faveur de l'amélioration de la compétitivité et de l'attractivité de son territoire. Elles porteront sur le développement économique, écologique et éducatif, la promotion de l'innovation, l'aménagement de l'espace et le développement d'infrastructures et de services de transport performants.
Au niveau de la région lyonnaise, nous avons tous conscience que la concurrence se joue désormais à l'international, et non pas entre les agglomérations. Il n'y a aujourd'hui aucune rivalité entre Saint-Étienne, le Nord-Isère et le Grand Lyon, mais une volonté partagée de coopérer. Nous avons une ambition commune : répondre aux attentes des habitants et développer nos territoires dans le respect de leur diversité, qu'ils soient ruraux ou urbains. Nous avons signé un protocole de coopération métropolitaine avec Saint-Étienne Métropole et la Communauté d'agglomération Porte de l'Isère pour construire un territoire multipolaire à l'échelle de notre bassin de vie. Demain, la Communauté d'agglomération du Pays viennois nous rejoindra.
Quatre grands défis
Nous avons quatre grands défis à relever, correspondant à quatre domaines stratégiques :
- celui de la planification urbaine, pour organiser un développement durable du territoire en évitant que nos grands pôles urbains ne se déploient de manière tentaculaire en mitant les espaces naturels et agricoles, comme cela s'est fait en région parisienne ;
- celui des déplacements et de la mobilité, pour à la fois renforcer l'accessibilité internationale de l'eurométropole et mailler le territoire avec un réseau de transports en commun efficace et adapté ;
- celui de l'économie, de la recherche, de l'université et de l'innovation, pour renforcer la compétitivité et l'attractivité internationale du territoire en valorisant les potentialités respectives des agglomérations et en fédérant les ressources au niveau d'une taille critique suffisante ;
- enfin, celui de la culture, du sport et des loisirs, pour renforcer notre rayonnement, encourager la création et favoriser le sentiment d'appartenance à un même bassin de vie.
Si, sous tous ces angles, « associer les métropoles », c'est faire que la ville française, la ville européenne, puisse redevenir un modèle pour le monde, un modèle porteur à la fois de progrès urbain, économique et social, un modèle qui soit véritablement soutenable, alors oui, cela vaut la peine de tout mettre en œuvre pour incarner ce modèle. C'est ce à quoi je continuerai à m'employer, au sein de la métropole lyonnaise, ainsi qu'au niveau national, dans la poursuite des débats sur la réforme territoriale.
- Michael Parkinson et al., Competitive European Cities : Where Do the Core Cities Stand ?, Liverpool , European Institute for Urban Affairs, 2003.
- Pierre Veltz, Mondialisation, villes et territoires : l'économie d'archipel, PUF, 1996. Voir aussi son article dans ce numéro de Constructif.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-6/associer-les-metropoles.html?item_id=3036
© Constructif
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